L’enfant, c’est bien connu, est d’invention relativement récente, puisqu’il apparaît, en gros, vers le milieu du XVIIIe siècle, avec l’Émile de Rousseau.
Dès lors, il a bien fallu loger ces chères têtes blondes et, partant, les meubler. Sous l’influence de pédagogues visionnaires, le XIXe siècle va peu à peu voir advenir la notion de « chambre d’enfant », territoire propre aux enfants et à leur mesure à l’intérieur de la maison. Si, au début, le mobilier pour enfant se résume bien souvent dans les catalogues de fabricants à la simple réduction de celui des adultes, il va rapidement s’autonomiser autour de quelques idées-forces : le mobilier pour enfant doit être léger, modulable, éducatif et ludique. Les plus fortunés de nos bambins font ainsi l’objet de toutes les attentions des designers qui rivalisent d’inventivité dans le droit fil du Bauhaus et autres constructivistes afin de créer des environnements harmonieusement intégrés dans lesquels s’épanouiront les futurs banquiers. L’école n’est pas en reste : au début du XXe siècle, les préoccupations hygiénistes et l’industrialisation des procédés ouvrent la voie à des investissements massifs. La salle de classe, lumineuse, ouverte sur l’extérieur, perd définitivement toute ressemblance avec un banc de galériens et les designers, une fois encore, y ont leur mot à dire. Léger, simple et solide, propice à toutes les reconfigurations de la classe, le nouveau mobilier scolaire s’adapte aux enfants et non l’inverse. Mais c’est dans l’après-guerre que va se généraliser le principe et la chambre d’enfant se démocratiser pour de bon. Sous l’impulsion de designers comme Marcel Gascoin ou Jacques Hitier, le mobilier pour enfant, produit en série et à moindre coût sans pour autant perdre en esthétique et en qualité, incarne désormais le progrès social pour tous. Le jeu s’y invite avec une inventivité constamment renouvelée, que l’irruption des matières plastiques, dans les années 60-70, ne fera qu’amplifier jusqu’à aujourd’hui, où de nouvelles problématiques se font jour, en termes de durabilité et de sobriété. Quid, dès lors, du mobilier pour enfant ? L’avenir le dira. En attendant, ce catalogue, publié à l’occasion de l’exposition du même nom au Centre Pompidou, sera peut-être l’occasion pour certains vieux crocodiles de revoir avec émotion l’une ou l’autre petite table tant aimée, l’un ou l’autre mini tabouret chéri parti depuis à Emmaüs, où il aura fait la joie d’un antiquaire au nez creux.
Yann Fastier