Rares ont sans doute été les visiteurs du Musée d’Orsay à avoir eu la chance de découvrir l’exposition consacrée à Léopold Chauveau

 

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pendant ses malheureux dix jours d’ouverture avant le grand confinement. D’autres, plus chanceux, l’auront peut-être vue quelques mois plus tard, à Roubaix. Quoi qu’il en soit, combien, parmi eux, connaissaient le nom de Léopold Chauveau ? Peu, sans doute et ceux qui l’ignoraient sont excusables tant cet artiste inclassable reste encore aujourd’hui un marginal, aussi bien sur le plan des arts plastiques que sur celui de la littérature, qu’il pratiquait tous deux avec bonheur. Il faut dire qu’il n’y était a priori pas destiné : né en 1870, devenu médecin malgré lui, ce n’est qu’au prix d’une série de tragédies familiales que Chauveau renonce définitivement à la chirurgie pour se consacrer à la création, avec une liberté que seul un autodidacte pouvait sans doute alors se permettre. Car, à l’instar d’un Gaston Chaissac ou d’autres adeptes de la « création franche », il n’était prisonnier d’aucun dogme : dessinateur spontané d’une « naïveté » revendiquée, inlassable modeleur de petits monstres familiers et bienveillants, il fut surtout l’auteur de contes pour enfants dont la fantaisie et l’humour parfois très très noir ne trouveraient sans doute grâce aux yeux d’aucun éditeur d’aujourd’hui, plus soucieux de ne choquer personne que de faire œuvre littéraire. Pour avoir été l’ami d’un certain nombre d’intellectuels et d’écrivains, dont le « Nabi sculpteur » Georges Lacombe, André Gide ou Roger Martin du Gard –  chez lequel il devait mourir en 1940 – Chauveau ne fut pas tout à fait méconnu de son temps. Son premier recueil sera même illustré par Bonnard lui-même et un Paul Faucher admiratif rêvera un temps de l’avoir au catalogue du Père Castor. Il n’en fut pas moins un artiste rare et unique en son genre, en France en tout cas, puisqu’il y eut des critiques pour le comparer à Kipling pour la fraîcheur de ses inventions et sa compréhension innée de l’enfance. Il était déjà facile d’en juger s’agissant des contes et des dessins, un certain nombre ayant été réédités depuis quelques années. On connaissait moins ses sculptures, que seule une donation exceptionnelle a pu faire sortir du cercle familial où elles étaient pieusement conservées. Ce catalogue accompagnant l’exposition sera donc l’occasion de découvrir tout un petit peuple tératoïde et amical, souvent baptisé de noms cocasses et dont les allures de yokaï expliquent en partie l’attrait que l’œuvre de Chauveau exerce au Japon, où elle est abondamment traduite et reconnue. Le bon docteur lui-même entretenait avec ses créatures disgraciées une relation compassionnelle que la psychanalyse expliquerait sans doute s’il ne fallait se méfier de toute réduction et, surtout, leur laisser vivre leur vie. Une vie désormais préservée par un musée prestigieux, bonne fortune assez rare pour un artiste aussi singulier, quand tant d’autres, socialement moins bien insérés, n’auront connu que la destruction pure et simple.

Yann Fastier