Sujet périlleux s’il en est que celui de Jeanne d’Arc, propre à toutes les récupérations nationalistes comme à tous les chromos patriotards.
Cela n’avait évidemment rien pour effrayer Marc Graciano, habitué à randonner sur les sentiers autrement scabreux du Pays de la fille électrique. Pouvait-il même en être autrement, tant la rencontre du grizzly des lettres françaises et de la pucelle d’Orléans semble a posteriori d’une aveuglante évidence ? Depuis Liberté dans la montagne, son premier roman, Marc Graciano n’aura cessé de frotter sa langue râpeuse au flanc doux de jeunes blessées, manière de les servir en se rêvant tour à tour page, garde du corps et médecin.
Aussi n’est-il pas ici question de retracer en historien la geste héroïque de Jeanne dans sa totalité, du troupeau au bûcher, mais simplement de l’accompagner au plus près dans la première partie de son voyage, de sa Lorraine natale à Chinon où l’attend le Dauphin, avec toute la précision maniaque dont l’écrivain sait faire preuve quand il s’agit de décrire – sans le moindre dialogue – les faits et gestes de la petite troupe, jusque dans leurs aspects les plus triviaux et les plus hautement symboliques. Littéralement fasciné par son objet, quintessence infiniment respectée de toutes les jeunes absentes autour desquelles tournaient la plupart de ses romans précédents, Graciano, comme toujours, use d’une langue volontiers archaïque, lancinante et scandée, qui donne à son texte l’aspect d’une danse chtonienne, à la fois pesante et gracieuse, d’une puissance proprement tellurique et, quoi qu’il en soit, rarement aperçue dans l’habituel jus de navet des littératures blanches. Rêveur éveillé à la fibre épique toujours savamment contenue, Marc Graciano signe sans doute là son meilleur livre, le plus dense et le plus ramassé, exempt en tout cas des maladresses qui entachaient certains des premiers et décevaient quand on aurait tant aimé les aimer. Nihil obstat en ce qui concerne sa Johanne, qui rejoint derechef le corpus pas si pléthorique des petites bergères selon notre cœur, entre celle de Dreyer, celle de Péguy et, bien entendu, celle de F’murrr.
Yann Fastier