En apparence, monsieur Victor a tout du bon bourgeois.

 

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Commerçant prospère du vieux port de Toulon, ami du commissaire de police et tout jeune papa, il est apprécié de tous pour sa rondeur, sa faconde et son aimable générosité. Mais derrière cette façade respectable, il est également receleur, à la tête d’une redoutable bande de cambrioleurs écumant la région. Lorsqu’un de ses complices entreprend de le faire chanter, il le tue et laisse un innocent, le cordonnier Robineau, partir au bagne à sa place. Mais sept ans plus tard, s’étant évadé, celui-ci revient dans la région et monsieur Victor accepte de le cacher…

Inutile de dire que Raimu crève l’écran dans ce rôle taillé sur mesure, au point de voler la vedette aux autres acteurs, y compris Pierre Blanchar, Viviane Romance et Madeleine Renaud. Il faut dire qu’il fait un Monsieur Victor époustouflant d’ambiguïté, changeant de physionomie d’une seconde à l’autre, à l’image d’un film qui multiplie les contre-jours, où l’ombre et la lumière s’opposent en un constant va-et-vient de persiennes tour à tour ouvertes ou fermées. Ni tout à fait bon ni vraiment mauvais – bourrelé de remords, il s’est occupé de l’épouse et du fils de Robineau (qui ne le méritaient guère) et, s’il héberge ce dernier, c’est à la fois pour le protéger et par souci de sa propre sécurité – Victor dessine en réalité un personnage bien plus nuancé que la caricature de méridional derrière laquelle il se cache. Un personnage avant tout prisonnier de ses contradictions mais profondément humain, comme tout le cinéma de Jean Grémillon, servi encore une fois par des dialogues brillants (signés du trio Achard, Spaak et Valentin), dont le cinéma d’entre-deux guerres, encore émerveillé d’être devenu parlant, semble avoir seul détenu le secret.

Moins connu que d’autres cinéastes de cette époque, ayant vu ses projets les plus ambitieux bloqués par une production souvent frileuse, Jean Grémillon (1901-1959) reste un réalisateur si souvent sous-estimé qu’on a l’impression de devoir le redécouvrir sans cesse, de Gueule d’amour à L’amour d’une femme et jusqu’à son dernier court-métrage, en 1958, sur le peintre André Masson.

Yann Fastier