Never explain, never complain : on ne saura pas grand-chose de ce qui, dans les années 60, conduisit Andrew Szepessy dans les geôles de son pays d’origine, la Hongrie.
Plutôt qu’à son propre cas, le jeune anglais s’attache à celui de ses compagnons d’infortune, à ces dizaines de pauvres gens embastillés, la plupart du temps pour des vétilles, par un régime particulièrement sourcilleux sur tout ce qui touche aux « intérêts du peuple ». C’est donc avant tout une série de portraits que déroule ce livre attachant, des premiers moments de la détention, par une chaude nuit d’été où « toutes les ombres sont en fleurs » à la longue attente de condamnés plus ou moins résignés à leur sort. Certains sont étonnants, comme celui de Karl, espion authentique et nazi convaincu, néanmoins vrai meneur d’hommes habile à faire tourner ses geôliers en bourrique ou bien celui du « roi des échecs » pour qui la vie semble un perpétuel bonneteau. D’autres sont pathétiques, lorsqu’il évoque ces « Tziganes bleus » – aux cheveux bleus à force d’être noirs – mourant littéralement de chagrin lorsqu’ils sont enfermés, ou bien ce jeune rouquin « sorti faire les courses », dont l’arrogance fond à mesure qu’il prend conscience de sa situation et dont le sourire assuré s’efface « pour toujours aurait-on cru ». Stoïque ou désespéré, servile ou rebelle, aucun n’est cependant jugé : de cela, les tribunaux se sont chargés avec tout l’arbitraire que l’on sait, qui suffit à disculper quiconque. Reste une humanité entière, irréductible, que berce l’auteur avec une compassion d’autant plus réelle que le flegme et l’humour la tiennent à la juste distance, du bout d’une langue châtiée, très « british » et attentive à toujours garder un bout de langue au creux de la joue.
Réalisateur et documentariste à la carrière baladeuse, Andrew Szepessy (1940-2018) n’aura pas écrit d’autre livre. Qu’importe : celui-ci en vaut mille autres.
Yann Fastier