Vous qui, un jour ou l’autre, passez par le Parc Monceau, ayez une pensée pour Louis Carogis, dit de Carmontelle (1717-1806), qui en dessina les plans originaux pour le Duc de Chartres.
Tel n’est cependant pas son principal titre de gloire : tout d’abord topographe, vaguement militaire, il se fait surtout connaître comme dessinateur, tirant le portrait des officiers de son régiment et de l’entourage du Duc d’Orléans, dont il devient rapidement l’un des familiers. De rang certes subalterne (précepteur de son fils, le futur Philippe Egalité, il n’est admis qu’au salon, jamais à table), il est néanmoins recherché pour son esprit, toujours aimable et bienveillant, jamais à court d’idées lorsqu’il s’agit d’organiser fêtes champêtres et divertissements de qualité. C’est ainsi qu’entre deux saynètes et proverbes mimés, il parvient à constituer une collection de plus de 700 portraits « mauvais, mais ressemblants », reflet fidèle de cette France des Lumières pour laquelle la tempête révolutionnaire n’est pas même encore un horizon lointain. Au crayon noir, à la sanguine, à l’aquarelle et toujours de profil (pour plus facilité et parce que MM. de Silhouette et Saint-Aubin avaient mis le profil à la mode), c’est toute une (bonne) société qui prend la pose, en accueillant parfois quelque domestique ou garde-blé pour le pittoresque de l’allure. Si la plupart de ces futurs guillotinés nous sont aujourd’hui parfaitement inconnus, quelques grands noms émergent parfois, parmi lesquels Buffon, méditant sur fond de crocodiles et d’éléphants, le baron Grimm ou bien le tout jeune Mozart, alors fêté dans toute l’Europe, aux côtés de son père et de sa sœur.
Mais le nom de Carmontelle reste avant tout associé à l’invention des « Transparents ». Ancêtre et précurseur de la lanterne magique, le Transparent est un rouleau peint dont le défilement dans une boîte conçue à cet effet fait apparaître par transparence paysages idylliques et jardins enchanteurs en une véritable promenade visuelle dans l’esprit des « folies » de ce temps, dont le fameux Désert de Retz demeure le plus bel exemple. On ne sait pas exactement combien Carmontelle peignit de ces rouleaux. Certains sont perdus, d’autres conservés ici ou là mais le plus connu (et le plus long) est celui dit « des Quatre Saisons », conservé au domaine de Sceaux où il est parfois montré avec toute la parcimonie qu’exige sa fragilité. C’est là que put le voir Jean-Christophe Bailly, qui l’évoque dans Le Dépaysement comme l’une des notes de ce qu’il nomme joliment « la ritournelle », ce petit air qui vous sifflote à l’oreille ce que c’est que la France en sa douceur native, délestée du « joujou patriotisme » (pour citer Rémy de Gourmont). Sans doute est-ce encore la qualité principale de Carmontelle, artiste médiocre et génial amateur, avec tout ce que ce mot peut contenir de tendresse, que d’avoir su capter ainsi l’esprit d’une époque et, surtout, l’idée qu’elle se faisait d’elle-même. Idée forcément fausse au regard de l’Histoire, elle n’en a pas moins de vérité pour l’âme et, transcendant toute archive, affleure en chacune des pages de ce catalogue à la façon de légers et murmurants fantômes, retour de quelque lointaine Arcadie où nul vilain virus ne saurait jamais gâcher la fête.
Yann Fastier