Rares sont les livres où l’on souhaite la mort du héros dès les premières pages.
Viré de chez ses géniteurs pour avoir mis sur la gueule à sa mère – qu’il apprécie à peu près autant que le petit tapis en moquette que l’on voit parfois épouser le pied des cuvettes de chiottes – Kevin Vergne, un vrai petit con déjà passablement haineux, va squatter à la campagne chez le père d’un vague copain, paye son loyer en braconnant, et peu à peu laisse son dégoût du monde moderne et de ses contemporains grignoter le peu d’humanité qu’il lui reste, pour faire de lui un bloc de haine brute, résonnant comme un cristal glauque au milieu d’une nature rendue à elle-même.
Dans une campagne recroquevillée, agenouillée près de quelques villages exsangues et d’une préfecture déshéritée, Kevin, chasseur à l’arc, en s’immergeant dans son art de la traque et en en faisant la métaphore facile d’une pathétique résistance, avec une mentalité de milicien, tresse un écrin à son souverain mépris, et plonge peu à peu des rives de l’abandon vers l’horreur, jusqu’au point de non retour.
Servi par des dialogues au couteau à dépecer et des scènes dégraissées jusqu’à l’os, cette sordide histoire, sous ses airs innocents de méchant roman noir, nous met face au lent délitement de nos provinces à travers la figure flamboyante de l’anti-héros suprême, offert comme un graal, un terrible réceptacle à toutes nos haines. Vous allez aimer le maudire.
Lionel Bussière