L’exofiction est à la mode. On disait autrefois « biographie romancée ».

 

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Connaissant Mika Biermann, pour avoir lu Booming et Roi., on ne s’étonnera pas de lui trouver l’exofiction baladeuse et bien plus romancée que gravement biographique. Cézanne est un prétexte, l’argument d’une fiction désinvolte où le peintre, loin de toute hagiographie, tient plutôt du sale vieux que du santon de Provence. Cézanne est donc vieux, misanthrope, seul (sa femme et son fils se sont trissés à Paris), vaguement crado, plutôt riche (il est au sommet de sa gloire) et il s’en fout. Il peint. Sans grand plaisir d’ailleurs, plutôt comme une espèce de besoin naturel, vieille habitude ou sale manie. Il peint des pommes. Et quand il ne peint pas des pommes, il va sur le motif, dans les collines, en traînant péniblement tout son attirail et, là, il peint : « Moustache dressée comme les antennes d’un homard, barbe branlante comme le goupillon d’une cloche, pif aux aguets, œil torve, il étudie le résultat. On dirait un fou qui a dessiné une bite dans la purée ». Du moins quand on ne vient pas le faire chier : le fiston, le fameux docteur Gachet, une fille facile en détresse et même ce vieux barbouilleur de Renoir, tous ont l’air de s’être donné le mot au long de ces trois jours pour le détourner de ses pinceaux. C’est autant de perdu pour la peinture mais pas pour celui qui, au fil d’une prose baguenaudante et primesautière, découvre ainsi un drôle de corps perclus, esclave ronchon de la palette et de la toile immaculée qui « (…) attend bêtement sur son chevalet, comme une vierge dans un lupanar. » Au fond, les seuls êtres qui ne le dérangent pas, ce sont sans doute ceux qu’il est seul  à voir, créatures des collines et de leur vieux passé grec, sphinge aux énigmes éculées, satyre sur le retour mendiant pour se payer un verre, Pégase et le Minotaure se disputant comme un vieux couple… Mika Biermann connaît son affaire. Ami des arts et du pinard (cf Le Matricule des anges n°210), guide conférencier au Musée des Beaux-arts de Marseille, il s’y entend comme pas deux pour balader le lecteur à grands pas dans une garrigue qui, pour être de sa fantaisie, n’en sent pas moins le thym, la lavande et le caca que la vraie.  

Yann Fastier