Simon a soixante-cinq ans dont trois de prison pour avoir tué accidentellement l’un de ses voisins.

 

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Lorsqu’il rentre au village, il n’a plus rien, ni maison ni amis et personne ne l’attend. Il s’obstine néanmoins et s’installe dans un moulin abandonné, un peu à l’écart du village. Lorsque vient la saison des coupes de bois, il obtient la concession de la plus difficile de toutes, un terrain pentu, rocheux, de ceux qu’on ne souhaiterait « même pas au diable ». C’est que Simon a un combat à mener. Au-delà de la bienveillance de quelques-uns – une jeune femme étrangère au pays, un enfant – et de la malveillance de quelques autres, il ne se connaît qu’un ennemi : lui-même ou, plutôt, cet homme qu’il aperçoit de temps à autre, « à peu près aussi grand et aussi vieux que lui », celui-là même qui, un soir, sur un pont, lui a cassé le nez. C’est alors une lutte à mort qui s’engage entre le vieil homme et cet arpent de forêt, qu’il vaincra seul ou qui le tuera, le laissant réconcilié avec lui-même au seuil de la mort.

Après les récents Derrière la gare et Ustrinkata, d’Arno Camenisch (Quidam), relire Coupe sombre d’Oscar Peer (1928-2013), vient définitivement rappeler le statut particulier des Grisons dans une Suisse loin d’être aussi lisse et aseptisée qu’on le croit d’ordinaire. Le canton des Grisons, c’est le far east de la Confédération, un petit Montana à lui tout seul, où la nature et les hommes parlent un même langage à la tendresse un peu rude. Cette langue, ce pourrait bien être le romanche, la plus minoritaire des langues parlées en Suisse, à la fois familière et décalée pour nos oreilles latines, mais la plus apte, sans doute, à conter de la façon la plus simple et la plus évidente qui soit cet autre Vieil homme et la mer. Sachant que sous le masque de l’évidence, comme sous le mutisme des hommes, se dissimulent souvent les plus belles blessures.

Yann Fastier