A l’heure où, d’un plateau l’autre, Emma Becker nous enseigne combien il peut être cool de faire la pute à Berlin,

 

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il n’est sans doute pas inopportun de revenir au premier livre de Nelly Arcan, qui fit la pute à Montréal et ne s’en trouva pas mieux. Suicidée en 2009 à l’âge de 36 ans, la Québécoise ne viendra pas contredire l’Allemande et ne s’en serait peut-être pas souciée mais son texte demeure, brûlant encore d’un feu que les années n’ont pas éteint, excédant les images menteuses et les rires forcés de celle qui fut alors une proie facile pour toutes les télés. On y chasserait cependant en vain l’anecdote croustillante. Ni roman ni tribune, témoignage encore moins, Putain se déroule en réalité comme une plainte. Mais une plainte sans apitoiement ni jérémiades, âprement lucide au contraire, moderne sirventès répétant et remâchant ses motifs en longues périodes enchevêtrées de manière à n’épargner personne, ni les clients, « indiscernables dans la série de leurs aboiements », ni les putains elles-mêmes, larves et « schtroumpfettes » vidées de leurs désirs, infiniment plastiques et vouées à la dernière des solitudes. Ni père ni mère non plus. Le père, bigot, que l’on ne cesse de redouter et de désirer derrière chaque client ; la mère, délaissée, depuis toujours à demi morte et détestée : plus que toute autre figure de l’humaine putasserie, ce livre ne cesse de les affronter, eux qui « (…) n’avaient pas prévu qu’il puisse exister plus d’une façon de vivre le mal de vivre ».

Si l’on sait depuis Musset que les plus désespérés sont les chants les plus beaux, Putain, tous masques tombés, tient assurément son rang dans la chorale. On connaît peu de textes d’un aussi noir éclat, sinon, peut-être, ceux d’un Albert Caraco dont Nelly Arcan n’est après tout pas si loin dans le registre de la litanie inspirée. On peut certes toujours se défendre des suicidés, les tenir à distance raisonnable, les rejeter à leur propre histoire… En vain : leur œuvre est là, qui vous fixe.

Yann Fastier