Eh non, ce n’est pas une coquille, c’est un continent :

 

Sécurité. Pour accéder au portail de votre bibliothèque, merci de confirmer que vous n'êtes pas un robot en cliquant ici.

le dernier à surnager sur une terre bien diminuée, en route pour la fin des temps. Ce qui reste du soleil éclaire à peine ces paysages crépusculaires où se traîne une humanité à bout de souffle, ayant tout oublié de notre brillante civilisation pour une sorte d’Antiquité revisitée façon Thomas Couture. Essentiellement peuplé de nécromants, d’aristocrates décadents, de courtisanes et de lamies, le monde de Zothique n’a rien de franchement riant et l’on y cultive plus volontiers l’asticot que la fraise tagada. De cités fantômes en cryptes maudites, la goule y a son rond de serviette et le succube y prend ses aises. Ce pourrait être le monde de Conan, les muscles en moins : on se bat peu dans les nouvelles d’Ashton Smith, on s’y lance plutôt des sorts et on ranime les morts, peu importe l’état. Proche de Robert E. Howard, Clark Ashton Smith (1893-1961) ne vouait cependant aucun culte à la force. Autodidacte, il était certainement le plus lettré parmi les très proches de Lovecraft, ayant lu et traduit Baudelaire ainsi qu’une bonne partie des décadents français et britanniques, dont le léger goût de pourri ne le rebuta jamais, bien au contraire. D’où le style, fleuri comme un cimetière, en une imitation un peu naïve du phrasé d’un Huysmans : « (…) diables chevauchant debout sur la croupe d’étalons noirs, dont les doigts de singe albinos s’agitaient sur des lyres d’os et de nerfs arrachés aux cannibales de Naat, satyres gonflant leurs joues caprines et soufflant dans des hautbois en fémur de jeunes sorcières ou des cornemuses faites de seins de reines nègres et de cornes de rhinocéros ». On se croirait dans A rebours, on est en réalité dans Weird Tales, l’un de ces magazines populaires, de ces pulps où s’inventait alors la Sword & Sorcery, loin d’une « anticipation » à la française encore tout amidonnée de scientisme à la Jules Verne. De ses glorieux et raffinés modèles, Ashton Smith devait garder un certain goût du luxe, fût-il clinquant et, pour tout dire, un peu kitsch. Cela n’est pas pour nous déplaire, bien entendu, et l’œuvre de cet auteur majeur valait bien une belle intégrale, qu’inaugurait ce premier volume, bientôt suivi de deux autres. Un volume dont la couverture – il faut le souligner – est en adéquation parfaite avec son sujet, le très curieux Zdzislaw Beksinski ayant très exactement été à la peinture ce que Clark Ashton Smith fut à la littérature : un outsider tenaillé par un désir de classicisme.

Yann Fastier