En attaquant ce roman de Jean-Marie Gourio, bien connu pour ses brèves de comptoir,
roman avec un titre pareil, on s’attendait à un petit récit fleurant bon le pastaga, plein de répliques gouleyantes prononcées par des piliers de bar hauts en couleurs, d’anecdotes franchouillardes, moitié anar moitié beauf, bref un texte plaisant faisant moins mal à la tête qu’un lendemain de cuite. Alors, bien sûr, on retrouve ici toute une galerie de portraits truculents, habitués de l’Amandier, bistrot bien de chez nous, un de ces lieux conviviaux comme on en fait de moins en moins, et son lot de reparties poilantes. Il n’est pas question ici que de rigolade pourtant. D’entrée, en immersion parmi les clients stupéfaits, à leur côté sur un tabouret, on saisit la stupeur surnageant à travers les vapeurs de bière. Pedro Da Silva, le Pedro qu’on voit tous les jours, gentil père de famille sans histoire, travailleur plutôt discret, s’est transformé la veille en fin d’après-midi en assassin. Il a tué une mère et ses deux enfants, dont un bébé. Il les a écrasés à l’arrêt de bus, au volant de sa voiture lancée à vive allure en pleine ville. Il avait 2 grammes 40 d’alcool dans le sang. Passé le choc de la nouvelle, tout le monde s’interroge, argumente, d’autant que les autorités semblent vouloir incriminer les patrons de l’Amandier, coupables de lui avoir servi des verres alors que Pedro tanguait déjà.
Gourio se lance alors, au gré d’une narration détaillée heure par heure, le parcours de l’homme qui l’a mené là, compte le nombre de coups avalés par-dessus la cravate, au gré de ses rencontres, lampés pour faire plaisir, fêter l’annonce d’un mariage, un contrat signé, ou simplement par habitude, pour pas vexer. Beaucoup ? Pas Beaucoup ? Pas de quoi être dangereux, selon l’avis unanime des participants au débat, un rien de mauvaise foi, dégageant par là-même toute responsabilité éventuelle au cas où il leur viendrait à l’idée, comme leur pote d’hier aujourd’hui meurtrier, de prendre la bagnole, cette bagnole « qui sait rentrer toute seule ». Sans juger jamais, l’auteur expose, l’air de ne pas y toucher, une réflexion plus profonde qu’attendue sur notre rapport à l’alcool, dans une France où s’enivrer demeure un signe de virilité, une marque de sympathie envers nos semblables, de partage, de valeurs communes, et où l’on oublie, parfois, qu’un verre de trop peut tuer.
Marianne Peyronnet