1931. Desmond Crothers, employé méritant de la florissante compagnie de cartographie General Drafting, déjeune avec son patron, Otto Lindberg.
En récompense de son implication dans la société, Desmond se voit confier l’honneur de créer une ville de papier sur la carte du Grand Est Américain qu’il vient de terminer. Une ville de papier ? Une ville fictive permettant de prouver le plagiat en cas de copie illégale par des concurrents peu scrupuleux. Desmond va bientôt épouser Rosemalia. De leurs prénoms accolés, il crée Rosamond et situe sa création dans le Maine.
1951. Taylor Unger, du service juridique de General Drafting, repère Rosamond sur une carte siglée Texaco. La fraude est avérée. Pourtant, l’entreprise perd son procès. A l’endroit inventé par Desmond se tient un unique drugstore, le Rosamond General Store, nommé par son propriétaire d’après la première carte. Les gens du coin, depuis, appellent tous le lieu Rosamond. La ville de papier étant devenue réalité pour les habitants, le juge estime qu’elle existe.
De nos jours. Un narrateur, féru de cartographie, promet un article sur une ville fictive à un magazine. A cause du célèbre procès, il choisit Rosamond et se rend sur place pour en retracer l’histoire. Il entame une véritable enquête, retrouve coupures de presse, entend différents témoins dont il raconte les vies. Rosamond a été le siège de drames, comme autant de preuves de sa réalité.
Quel intrigant roman que celui-là ! Quel voyage passionnant ! Les éléments factuels s’enchainent au gré des investigations du personnage principal. On le suit sur les routes du Maine, ravis d’en apprendre tant sur ce bout de terre lointaine, parabole de l’Amérique. On comprend l’expansion des sociétés de cartographie, à cette époque où l’industrie automobile était en plein essor. On les imagine, les motels pas chers et leurs clients épuisés d’avoir tant conduit, les stations service poussiéreuses, les grosses voitures aux couleurs vives. Et puis… au fur et à mesure des découvertes, le doute surgit. Olivier Hodasava ne serait-il pas en train de nous mener en bateau ? Que l’anecdote concernant cette élection de Miss Rosamond, au cours de laquelle une fillette a fini foudroyée, ait servi de scénario à un épisode de The Twilight Zone dans les années 60, c’est possible ? Que Stephen King se soit fait prendre en photo devant le fameux drugstore, c’est vrai ? Que Walt Disney ait racheté des terrains là-bas pour y construire la ville utopique dont il rêvait, c’est crédible ? Et nous voilà à faire nos propres recherches sur internet, afin de vérifier l’(in)exactitude des faits contés. Au point de remettre en question l’existence même de ces villes de papier, points de départ de l’histoire. Tout serait faux alors que tout sonne si juste ? L’auteur nous aurait donc fait tourner en rond alors même qu’on avait une carte détaillée sous les yeux ? Le mystère reste entier… et c’est tant mieux !
Marianne Peyronnet