Pour avoir été témoin de l’incroyable succès d’un minable travesti de cabaret, la jeune Barbara s’avise que son androgynie naturelle pourrait bien la sortir de la mouise.
Un coup de peigne, quelques vêtements laissés par son frère et elle devient Paulus, un jeune homme aux manières délicates dont le spectaculaire numéro transformiste fait soudain courir le tout Berlin. Monsieur Paulus devient la coqueluche de ces dames et de Gregor qui, plutôt porté sur les femmes, se demande bien ce qui lui arrive : voilà qu’il « aime Paulus parce qu’il ressemble à une femme qui ressemble à un homme qui ressemble à une femme » ! S’ensuit un imbroglio de situations ambiguës et cocasses, jusqu’au dénouement final qui verra chacun retrouver sa chacune, comme une ultime concession à la morale du temps, joyeusement écornée jusque-là.
Ce devait être un film et ça l’a été d’une certaine façon puisque l’on ne peut lire ce scénario inédit de 1931 sans penser à Victor Victoria de Blake Edwards, lui-même adapté de Viktor und Viktoria, tourné par Reinhold Schünzel en 1933. Est-ce le hasard ou bien l’air du temps ? La thématique est à peu près la même : celle d’un « trouble dans le genre » au cœur de cette République de Weimar qui vit se développer une riche scène culturelle homosexuelle, au point que l’on put faire de Berlin l’une des capitales européennes de l’homosexualité, dont Tucholsky lui-même (1890-1935), journaliste, critique, écrivain bien connu, ne cessa de militer pour la dépénalisation.
S’il n’est pas certain que le cinéma eût beaucoup gagné à un tournage effectif, la littérature, elle, ne se porte pas plus mal de cette pétillante traduction dont les bulles du titre doivent au moins autant au meilleur champagne qu’à la lessive et à laquelle les illustrations très grosziennes de Donatien Mary achèvent de restituer une coloration d’époque, à la fois joliment désuète dans la forme et résolument moderne pour le fond.
Yann Fastier