Peter a dix-huit ans. Il est en prison et attend son jugement pour meurtre.

 

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Dès les premières pages, on sait qu’il est coupable. Il a tué un homme, M. Hoyt, le directeur de Gilford, école pour fils de riches, dans le New Hampshire, où il était pensionnaire. Dans une longue lettre qu’il adresse à son avocat, Peter raconte les circonstances de la tragédie qui l’ont mené dans sa cellule. Cette forme narrative originale, ce flashback détaillé, est un coup de génie. Peter a du temps devant lui et sa lettre n’est pas une tentative pour s’absoudre d’une quelconque culpabilité. Son témoignage est d’une sincérité absolue car il ne vise pas à servir sa défense, juste à raconter. Alors, peu importe si son avocat y trouvera des arguments pour sa plaidoirie, ou même s’il lira son courrier : la question ici n’est pas de savoir qui, mais pourquoi ? Et ce faux suspense se révèle d’une efficacité redoutable. Impossible de deviner la fin. Impossible de ne pas avoir envie de connaître la fin.

Lorsqu’il arrive à Gilford, Peter est un jeune homme seul. Il est différent des autres internes. Orphelin de mère, il a été élevé par son père, acteur, alcoolique à ses heures, gentil mais dépassé. Peter est plein d’un espoir fou à son entrée dans ce lycée, il rêve d’un ami. Ses camarades de chambrée ne sont pas à la hauteur de ses attentes. Il s’intègre sans difficulté, sans plaisir non plus. Et surtout, dès le début, sur un malentendu, le directeur, M. Hoyt le hait. Froid, autoritaire jusqu’à la rigidité, Hoyt supporte mal cet élève brillant mais boursier, qui vient d’Hollywood, terre de tous les vices. Hoyt ne le lâche plus, le surveille, le harcèle, le traque. Peter devient l’objet de son obsession, de son équivoque tourment.

Puis vient Jordan. Peter trouve en lui son jumeau, son âme frère, son complément. Jordan est son contraire, son creux où se blottir. Peter est doué en sport, beau, blond, fils unique, désargenté. Jordan est de famille nombreuse, fortuné, malingre, cardiaque. Jordan a du panache, l’arrogance des nantis, la tristesse des enfants mal aimés, la force de caractère des condamnés. C’est un esprit libre, un peu frondeur, qui veut vivre fort parce qu’il va mourir. Leur amitié, de ces amitiés adolescentes exclusives, prend le pas sur tout le reste.

Naissent alors des pages de vie d’une justesse psychologique et d’une finesse rarement atteintes. Si l’ambiguïté sexuelle est écartée d’emblée, Peter et Jordan sont seuls contre le reste du monde. Leurs moments d’intimité sont purs mais le couple qu’ils forment dérange. Hoyt, fou de jalousie, malade de voir Peter échapper à son emprise, n’aura de cesse de faire passer pour dépravés leurs sentiments. Le piège se referme sur les deux adolescents, le piège du monde adulte où tout n’est qu’hypocrisie, violence, laideur. Hoyt est un méchant emblématique. Il tue leur avenir. La mort est au bout, l’injustice si flagrante, si inéluctable qu’elle fait pleurer des larmes de rage.

Publié pour la première fois en 1968, novateur dans sa forme, classique dans son élégance, extrêmement drôle et surtout déchirant, violent et désespéré, Meilleur ami – meilleur ennemi est un roman majeur sur l’adolescence, qui rend grâce, avec une infinie délicatesse, à l’amitié à la vie à la mort.

Marianne Peyronnet