Le roman débute par une scène de lapidation, celle d’un chien acculé dans une grange par deux gamins qui lui écrabouillent la gueule avec délectation.
Autant dire que l’été raconté par le narrateur d’une dizaine d’années est bien loin d’une version bucolique de la campagne, comme dans ces contes charmants où la sempiternelle figure du petit citadin découvre, chez ses grands-parents, un havre de paix loin de la ville, une façon de vivre en harmonie avec la nature et les animaux. S’il est bien question d’animaux ici, c’est de ceux qu’on abat, pour les manger ou les vendre, ceux dont on laisse pourrir les cadavres quand ils ont eu la mauvaise idée de clamser sans raison. On ne les aime pas, ils ne sont pas là pour faire joli, ils font partie de la vie de la ferme, au même titre que les cultures. Et le gosse ici ne découvre rien, il vit là, dans cet environnement rude où l’on se soucie peu de psychologie de l’enfant pourvu qu’il vous foute la paix et participe au labeur quotidien. Sinon, gare aux coups qui pleuvent. Pas de télé, encore moins de livres, l’ennui souvent. Alors, trouver comment s’occuper est une gageure, heureusement qu’il y a d’autres gamins dans le coin qui ne connaissent pas le sens du mot vacances.
Pour son premier roman, Simon Johannin fait mal. Sa description du monde paysan n’a rien à voir avec une forme de Nature Writing à l’américaine où les paysages, grandioses, appellent à la contemplation, à la méditation. Dans son bout de campagne, la mort est partout, la charogne empeste. Les hommes, comme les bêtes, sont là pour trimer, ils sentent mauvais – on ne va pas gâcher l’eau pour se laver - ils ne se plaignent pas, et s’ils tombent malades, ils en crèvent. C’est la vie, rythmée par les tâches à accomplir, les fêtes estivales, 14 juillet, 15 août, où l’on prend plaisir à se bourrer la tronche encore plus que d’habitude, où les premières cuites sont signes d’entrée dans l’âge adulte, sous l’œil attendri et fier des parents et voisins.
Johannin immerge le lecteur dans son monde, sans volonté ni d’édulcorer la réalité, ni de forcer le trait. Le gamin raconte une vérité crue, dans une langue parlée innovante, puissante de simplicité. Les faits sont bruts, énoncés sans jugement, sans distance, troublants jusqu’à la nausée.
Une deuxième partie de ce texte, plus courte, tout aussi forte, transporte le narrateur, devenu jeune adulte, dans une banlieue désespérante. Perte de repères, drogues, hosto, Valium, la langue se fait plus mature, toujours belle, toujours brute, et l’on sort bouleversé par ce récit, par ce premier roman hallucinant qui signe la naissance d’un grand écrivain.
Marianne Peyronnet