Kate Bush est une fée, une créature des forêts et des lacs, délicate, énigmatique, insaisissable.

 

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Quand, en 1978, elle sort son « Wuthering Heights », elle n’a que dix-neuf ans et le timbre de sa voix, sa pureté juvénile ensorcellent le monde entier. Sa plastique est parfaite alors, son minois adorable, mais elle n’a rien d’une poupée créée pour plaire. Elle n’est pas une marionnette façonnée pour faire un tube éphémère. C’est une artiste qui compose, écrit, cultive déjà une singularité assumée. Si elle semble touchée par la grâce, elle ne doit son talent qu’à un travail acharné et la certitude qu’elle ne pourra s’épanouir que dans son art. Kate Bush est exigeante, envers elle-même. C’est une artiste totale qui ne présente son travail que lorsqu’elle l’estime proche de la perfection. C’est ce perfectionnisme qui l’a fait attendre trente-cinq ans avant de remonter sur scène. La tournée The Tour of Life, en 79, avec ces spectacles chorégraphiés de 2h30, avait été si intense qu’elle l’avait laissée au bord de l’épuisement et elle n’a consenti à renouveler l’expérience, avec les concerts de Before the Dawn, à Londres, en 2014, que lorsqu’elle s’est sentie prête à le faire. C’est certainement cet engagement qui explique la longévité exceptionnelle de sa carrière. Ses onze albums, distillés avec parcimonie au long de cinq décennies, ont tous été classés dans le top 10 britannique.

Kate Bush est discrète. Elle craint les effets pervers de la notoriété. Elle n’accorde d’interviews que pour parler de son travail. Au point d’être accusée par les tabloïds d’avoir des secrets à cacher, d’entretenir le mystère par calcul, mais sa réponse est simple : « Je suis quelqu’un de très normal et il n’y a vraiment rien de sensationnel à dévoiler. Je ne parlerais pas de certaines choses privées avec ma propre mère, alors pourquoi le ferais-je avec quelqu’un d’autre ? »

Donc, c’est au travers de sa musique que Frédéric Delâge nous dévoile des pans du personnage. En passant au crible chaque album, chaque morceau, minutieusement, il dresse un portrait, en creux, de l’artiste. Et l’on apprend beaucoup. Kate Bush est obsédée par des thèmes récurrents, leitmotivs qui hantent ses paroles : l’amour au-delà de la mort, vision ô combien romantique et fantastique de notre passage sur terre ; la folie sombre ; l’exaltation de la nature… Elle puise son imagination dans la littérature ou le cinéma : « The Infant Kiss » s’inspire du Tour d’écrou d’Henry James, « The Wedding List » de La mariée était en noir de Truffaut… Kate Bush est une touche à tout, brillante et curieuse : elle apprend la danse, la réalisation pour proposer des clips d’une beauté à couper le souffle ; elle s’intéresse aux innovations technologiques : elle est une des premières, dans son LP Never for Ever à utiliser le Fairlight CMI, un échantillonneur numérique (les bruits de verre brisé dans « Babooshka » viennent de là), ou un micro-casque ; elle participe activement aux séances, toujours très longues, de mixages… Kate Bush est fidèle : à sa famille, très proche, à ses musiciens et amis (David Gilmour, Peter Gabriel), à sa maison de disque EMI… Kate Bush est obstinée, doucement tenace. Elle ne s’en laisse pas compter et tient à garder le contrôle sur tous les aspects de ses créations. Elle bouscule les codes, prend des risques, se renouvelle sans cesse, depuis bientôt quarante ans.

Marianne Peyronnet