Le jeune Enoch O’Reilly n’aurait pas dû descendre à la cave et forcer l’entrée interdite de l’atelier de son père disparu.
Il y découvre une espèce de transcripteur, une radio trafiquée, qui diffuse les paroles d’un prédicateur annonçant déluge prochain et morts certaines. Des années plus tard, lors de l’hiver 1984, Enoch est de retour sur ses terres natales au moment où la Rua, la rivière qui traverse la ville de Murn, en Irlande, déborde et recrache sur ses rives les corps de plusieurs suicidés. Enoch, investi d’une mission divine, endosse le costume du personnage qu’il s’est forgé durant son exil. Puisque son Dieu à lui est Elvis, c’est sous les traits d’un sosie du King, armé de sa plus belle voix de crooner, qu’il entreprend d’évangéliser et divertir la population à travers les ondes de la radio locale. Vous avez dit bizarre ? La rivière d’Enoch O’Reilly l’est assurément. Récit héroïque, drôle autant que sombre, mêlant imagerie populaire et trame mythologique et biblique, le roman de Peter Murphy se lit étrangement facilement, comme si le lecteur en comprenait inconsciemment toutes les implications. Car nul besoin de culture religieuse pour se délecter de ce Presley de bazar, risible et pourtant envoûtant. Il suffit de se laisser porter par le flot de la rivière en crue, par le rythme des mots, évocateurs de sentiments aussi changeants qu’un paysage du Wexford, aussi tourmentés que l’âme irlandaise.
Marianne Peyronnet