Y a-t-il un art officiel ? L’art contemporain est-il envisageable hors des réseaux institutionnels ?
L’institution n’est-elle pas à la fois juge et partie lorsqu’elle évalue la valeur d’une œuvre à sa présence dans ses propres collections ? La reconnaissance artistique doit-elle obligatoirement passer par la réflexivité d’un discours de l’art sur lui-même et sur son histoire ? Y a-t-il encore place pour une présence de l’œuvre non médiatisée par un discours autour de l’œuvre ? L’art dit brut est-il si singulier qu’il faille encore le ranger dans les marges d’un art inconscient de lui-même ? Toutes ces questions, et bien d’autres, Esprit singulier les soulève en creux mais avec passion, cette même passion qui, depuis une trentaine d’années, anime le collectionneur Jean-Claude Volot. Industriel prospère (et vice-président du MEDEF…), ce dernier n’en est pas moins amateur d’art. En 2005, l’importance croissante de sa collection le décide à lui trouver un lieu d’accueil : ni une ni deux, il rachète l’ancienne abbaye cistercienne d’Auberive (Haute-Marne) et la transforme en refuge pour certaines formes d’art hors normes. Plus souvent défendus par des galeries que par l’institution muséale, les artistes d’Auberive relèvent pour la plupart d’une forme d’expressionnisme viscéral, où le corps et la figure humaine, torturés, malaxés, déformés ou tourmentés de toutes les façons, reste néanmoins toujours au cœur de l’œuvre. Certains sont connus (Paul Rebeyrolle, Ernest Pignon-Ernest, Pierre Bettencourt, Vladimir Veličković ou Jephan de Villiers…), d’autres gagneraient à l’être davantage (Marc Petit, Ronan Barrot, Ibrahim Shahda, Louis Pons…), mais tous ont en commun d’afficher une personnalité têtue, hors des courants dominants du marché et de défendre haut et fort les couleurs d’une peinture bien vivante, dont la critique internationale ne finit pourtant pas de nous annoncer la fin. « Petits maîtres » marginaux, héritiers attardés d’un Surréalisme en fin de droits ou bien artistes à part entière, rétifs au bluff de « l’art-comptant-pour-rien », le Temps fera le tri. L’abbaye d’Auberive, en attendant, demeure l’un de ces lieux trop rares où s’effacent les frontières abusivement tracées entre « art brut » et peinture savante ; un havre, enfin, pour ces irréguliers de l’art pour qui peindre est plus souvent affaire de vie ou de mort que de gros sous.
Yann Fastier