Norilsk est en Sibérie, au nord du cercle polaire arctique.

 

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Les températures approchent les -60° en hiver et les 30° dans les deux mois d’été. C’est une des villes les plus polluées au monde. L’industrie minière de l’extraction du nickel empoisonne l’air de gaz toxiques et de pluies acides à des kilomètres. Face à la dureté du climat, aux maladies respiratoires, chanceux sont les habitants qui dépassent la soixantaine.

Autant dire que Caryl Ferey a trouvé dans cet enfer glacial le décor idéalement cauchemardesque pour son dernier roman. Car des gens, malgré tout, vivent là. Dont il a, lors d’un séjour, partagé les conditions de vie et dont il tire ici des personnages sublimes, des figures à la mesure de leur environnement, tourmentés comme les tempêtes qui arrachent les toits des bâtiments, hantés par leurs démons et les morts de l’ancien goulag qui sillonnent les rues désertées, portés par des rêves plus beaux que les aurores boréales.

La découverte du cadavre d’un Nenets éleveur de rennes entraîne Boris, flic plus bourru qu’un ours, dans une enquête où les pistes se perdent dans la neige ou dans des tiroirs gardés secrets. A Norilsk, les méthodes de surveillance et de dissuasion héritées de l’ère soviétique période Staline n’ont rien perdu de leur efficacité. Intimidation, corruption, collusion entre politiques et patrons, éliminations, l’inspecteur déroule l’écheveau où s’emmêlent victimes et bourreaux comme au bon vieux temps et donne à Ferey l’occasion de tremper sa plume dans sa rage. On ne s’échappe pas plus facilement de la Sibérie de Poutine que de celle du petit père des peuples. Au moins, avant, les mineurs bénéficiaient d’un statut privilégié. A présent, les travailleurs exploités n’ont rien à envier aux migrants ouzbeks victimes d’un racisme séculaire, ni aux minorités ethniques dont on hâte la disparition, ni aux homosexuels, sous-hommes dans une Russie vouée au culte de l’Homme.

Caryl Ferey, comme à son habitude, s’empare du contexte géopolitique et laisse à ses personnages incarnés le soin d’en révéler les perversions et les injustices.

Le froid lui sied. Il n’en fait que plus ressortir la chaleur, celle qui réchauffe les cœurs. Celle d’un bar où l’on rit, boit et chante, celle que procure la vue d’une jeune femme révoltée, d’un ciel magnifique, d’un poème, celle d’une chanson de Bowie ou d’une étreinte passionnée.

Marianne Peyronnet