Élie Simoneau est journalier et musicien. Élu directeur de l’harmonie municipale de Richelieu, en Touraine,

 

Sécurité. Pour accéder au portail de votre bibliothèque, merci de confirmer que vous n'êtes pas un robot en cliquant ici.

il se met en tête de composer une symphonie populaire en hommage à son grand-père, un miséreux surnommé Cure-Bissac et de la faire jouer par la fanfare. Moqué et dénigré par la bourgeoisie locale, il y parviendra cependant, avec l’aide de M. de Braslou, un vieil aristocrate excentrique qui ne lui ménagera pas son soutien.

Figurez-vous qu’un jour les pauvres ont eu un jour la prétention d’écrire, et qui plus est sur leur propre vie, comme si leur misérable existence pouvait avoir quelque intérêt. Figurez-vous même, qu’ils s’étaient regroupés pour cela, sous l’impayable appellation d’« écrivains prolétariens » et sous la direction d’un illuminé de leur sorte, un certain Henry Poulaille qui, lui, osait carrément parler de « Nouvel Âge littéraire ». Georges David (1878-1963) fut de l’aventure, et pas qu’un peu.

Né dans une famille pauvre, horloger de son état et musicien d’harmonie lui-même, il sera l’auteur d’une vingtaine de livres, pour la plupart publiés chez Rieder, l’éditeur historique de ce courant trop oublié de notre littérature, pour lesquels Cure-Bissac devait faire figure de porte-drapeau. Pas seulement parce qu’il s’agit de son meilleur roman mais aussi et surtout parce qu’il énonce, dans une langue riche et sonore, mêlée d’argot et de patois (un lexique, à la fin, débrouille un peu tout ça) un véritable manifeste pour l’expression populaire. Alors qu’Élie, réfugié dans son bout de champ, peine à trouver l’inspiration qu’il pressent, elle lui descend droit sur le râble un soir de vendange, à la fatigue et au spectacle, non pas de l’Empyrée mais de la vie même. Ce que résume pour lui M. de Braslou :

« Et tu as cherché l’inspiration comme on cherche un coutiau dans n’un guéret. Tu croyais pouvoir abinde ça comme on abind des duchesses dans des poiriers nains. Tu t’es dit, un jour : « Y fait beau, à nuite, les osieaux goulent dans la ramure et les geurlets dans les foussés. J’vas aller à La Croix-des-Veaux, tout ras Trop-Coûte, et j’écrirai su mon calepin des trucs épatants. Les gens diront : Il est sorcier, le drôle de Simoneau, il a le nombril su l’épaule. » (…) Mais va te faire foutre ! ça ne venait pas vite, l’inspiration, à La Croix-des-Veaux. Et puis, c’est venu tout seul, après, en ramassant le breton à Langevin et aux autres zoulous. »

Et de continuer, en une page bouleversante :

« Mon pauvre Simoneau, tu as la petite bête, c’est une maladie qui ne pardonne point. (…) Certainement, on te traitera d’individu peu intéressant, parce que toi, pauvre diable, tu te consoleras de la vie royalement, parce que tu t’éloigneras des imbéciles, qui ont souvent payé très cher pour être ce qu’ils sont. Va-t-en, éloigne-toi d’eux ; tu aborderas des rivages qu’ils ne connaîtront jamais, si riches soient-ils. Laboure ton champ en toute simplicité ; ne te monte pas le coup. Sois simple, tiens, comme ceux qui ont peiné pour nous laisser ces livres-là. (…) Tu as lu La Fontaine ? Je te prêterai Rabelais, qui était de la rue de la Lamproie, à Chinon. Je te prêterai Don Quichotte, aussi, et d’autres… Leur puits était mitoyen, à Cervantes et à Rabelais ; ils ont bu la même eau. Tu verras comme c’est rigolo, tout ça, et douloureux, et douloureux. »

Son champ, Simoneau le labourera, inlassablement, jusqu’à devenir « emmerdant comme un chien de bourgeois ». Sa symphonie, il la jouera. Elle sera ce qu’elle sera, belle malgré tout parce que jouée pour les quelques gueux qui ne l’auront pas snobé. Bien sûr, il brûlera les partitions tout de suite après, bien sûr il rentrera dans le rang, redeviendra le fils à Simoneau le soûlaud, celui qui fait « ringuinguin dans les noces et les assemblées », mais il aura fait œuvre et se sera dépassé lui-même, sans vanités d’auteur et pour simplement chanter à sa façon la beauté du monde, avec ses boues et ses labeurs. Nul ne lui en sera reconnaissant, comme nul, sans doute, ne le fut à Georges David lui-même d’avoir écrit ce roman magnifique. Les prolétariens sont aujourd’hui bien oubliés, n’étaient de trop rares obstinés pour rééditer leurs livres. Dès le début, Plein chant fut de ceux-là, dont la collection Voix d’en bas réunit les meilleurs, discrètement, à bas bruit, maintenant que la littérature se voit enfin rendue à ses propriétaires.

Yann Fastier