Reprenons.

 

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Depuis une bonne quinzaine d’années, Emmanuel Guibert a entrepris de transcrire en bande dessinée les souvenirs d’Alan Ingram Cope, cet ami américain installé en France après la Seconde Guerre Mondiale, rencontré par hasard sur l’île de Ré et qui se révéla vite un prodigieux interlocuteur, l’un de ces raconteurs-nés capables de captiver un auditoire sans effets de manche et avec les trois fois rien d’une vie sans histoires. Trois fois rien qui font tout de même des heures et des heures d’enregistrement qu’Emmanuel Guibert est loin d’avoir fini de creuser. Après nous avoir conté La Guerre d’Alan en trois volumes (L’association, 2000-2008) et avoir entamé L’enfance d’Alan (L’association, 2012), il ouvre une brève parenthèse pour évoquer l’amitié d’Alan et de Martha, une petite fille rencontrée à l’école maternelle, devenue son amie d’enfance, perdue de vue et retrouvée sur le tard. Trois fois rien, donc, pas même une tranche de vie, ou alors bien fine. Mais cette transparence même en fait le prix, car sous les mots simples d’Alan se dessinent une vie, deux vies peut-être faites l’une pour l’autre, deux trajectoires à peine déviées par la maladie, l’intransigeance d’une belle-mère, un rendez-vous manqué et l’ombre à peine esquissée d’un regret. Pour traduire cette délicatesse de sentiment, Emmanuel Guibert a fait cette fois le choix de la couleur et d’une forme narrative en plans larges, plus proche de l’album que de la bande dessinée proprement dite. Choix judicieux : les dessins, réalistes, fortement documentés, presque photographiques, sont transfigurés par des couleurs chaudes et profondes, qui donnent aux doubles-pages une tonalité dorée que l’on imagine aussi bien être celle de la Californie natale des deux enfants que celle d’un vert paradis ensoleillé par le souvenir d’une Amérique encore aimable.

Yann Fastier