Pépé le Moko, paru initialement en 1931, et resté dans les mémoires grâce au film que Duvivier réalisa en 37 

 

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(avec Gabin dans le rôle principal, excusez du peu), était introuvable depuis des décennies. Thierry Tuborg en réédite le texte original, l’auteur n’étant autre que son grand-père, détective de son état et fondateur du magazine du même nom. En voilà une idée qu’elle est bonne.

Alger, c’est pratique. Quand la police est à vos trousses, suffit de s’embarquer avec de faux papiers à Marseille, de prendre la mer pour aller prendre l’air. Une fois arrivé, la Casbah vous tend les bras. C’est dans ce quartier, ce coupe-gorge où se terrent caïds en tous genres, voleurs, braqueurs et leurs dames, que Pépé se cache. Tout le monde le respecte, Pépé, l’a même pas besoin d’élever la voix. Il est quasi le taulier des lieux. Les flics sont bien à sa recherche, mais pas question de pénétrer la zone, trop dangereux. Comme Pépé le dit lui-même : «la Casbah, c’est sacré, c’est une planque. La police sait parfaitement que si elle voulait m’faire ici, y aurait pas moyen. Les bicots, les noirs et tous ils s’raient là. » C’est sans compter Slimane, le flic autochtone, « un bicot, un petit mec sournois, mais qu’à pas les flutes (…), un petit avec une tranche jaune, une vraie gueule de faux témoin » qui s’est juré de l’arrêter…

Parfait roman noir à la française, avec cette tension qui grandit, cette issue qu’on devine fatale, Pépé le Moko transpose son intrigue hors de la Métropole et pose ses personnages dans un milieu dont on ignore tout et qu’on découvre au fil des pages. Bouges et hôtels de passe sordides, coups de surin et menaces, prostituées et crapules à chaque coin de rue, la Casbah est un abri autant qu’un lieu de perdition. Un endroit exotique, où les touristes de passage aiment venir s’encanailler de nuit, à condition qu’ils aient un guide. On vient voir de plus près ces bicots aux mœurs étranges, dans leurs baraques sordides, pour se faire peur et surtout des souvenirs. La condescendance est de mise, de même qu’un fond de racisme et de misogynie. A en faire une mauvaise lecture, Ashelbé mériterait d’être ce qu’il a fallu être, effacé de notre Histoire, de notre mémoire. Ce serait lui faire un mauvais procès. D’abord, c’est un écrivain, il écrit ce qu’il veut, sans compter qu’il est le témoin de son époque. Et puis, il n’est pas ses personnages. Manquerait plus que les affranchis, dans les livres de gangsters, ne puissent plus distribuer de baffes aux donzelles récalcitrantes (ce que Pépé se permet uniquement quand Inés la Mauresque, sa régulière, fait trop sa jalouse). Ensuite, si Pépé est bien le personnage central du roman, avec sa belle petite gueule, le héros n’est autre que Slimane, le fameux « à tranche jaune », qui monte un plan démoniaque pour arriver à ses fins. Il en faut de l’intelligence pour imaginer tout ça : amener dans la Casbah, une de ses touristes pas farouches, une grande, belle, blonde, distinguée, et lui faire croiser le chemin de Pépé. Enfin, quand on écrit dans cette langue tellement fleurie, qu’on invente, restitue un argot si juste, pointu, drôle, on mérite évidemment de passer à la postérité.

Marianne Peyronnet