Quel était le divertissement favori des français d’après-guerre ? Le catch !
Aujourd’hui tout le monde a oublié « L’Ange blanc » la star incontestée des années 60, les combats spectaculaires au cirque d’Hiver dont il ne reste plus que de vieilles affiches fanées symboles d’une époque révolue. Le film de David Perrault fait revivre cette époque en nous introduisant dans ce milieu interlope de sinistre réputation. Au départ il s’agissait d’une simple histoire d’amitié. Celle de deux copains, Victor et Simon. Ils se voient régulièrement au bistrot depuis le renvoi de Victor de la légion. Simon lui trouvera finalement un job de catcheur. Introduit dans le milieu au prix de pas mal d’humiliation, il devient bientôt « l’équarrisseur de Belleville » face à son copain Simon, « le Spectre ». Le méchant donc contre le gentil. Evidemment bookmakers et public adorent ! « Nos héros sont morts ce soir » est un ovni dans le cinéma français contemporain. D’abord de par son sujet. Le catch : ce divertissement à mi chemin entre le sport et le spectacle, présentant des combats truqués, de vrais athlètes et des bookmakers véreux. Puis le titre, porteur d’une certaine tragédie et qui sonne comme un vieux roman de gare. Ensuite il y a le choix des comédiens, Denis Menochet et Jean-Pierre Martins déjà repérés tous les deux dans « La Môme » d’Olivier Dahan ont de vrais gueules de cinéma qui nous font revivre l’esprit de Lino Ventura ou d’Henri Vidal. Ensuite il y a le traitement cinématographique, le film est tourné en noir et blanc avec une bande son surf-rock’n’roll ultra-classe et des scènes de combat stylisées à l’extrême. Tout ceci concourt à créer une distanciation qui met en relief le pathétique des personnages et leurs névroses. Victor poursuivi par un sentiment d’échec est terrifié à l’idée d’être un éternel looser hué par le public, le bad boy sur qui l’on tape à tous les matchs. Quand Simon lui proposera d’échanger leurs masques, Victor goûtera enfin à l’exaltation d’être le héros des foules. Mais les frontières entre spectacle et réalité vont brutalement s’estomper pour eux deux et les entraîner dans un combat sans retour. Oui, décidemment, nous sommes bien loin ici du film d’action traditionnel. Le climat bien glauque du film le placerait plutôt dans la catégorie du film noir. En ressuscitant les fantômes d’un certain cinéma populaire, le réalisateur réussit une œuvre originale, sans tomber dans le kitch, pour mieux brosser le portrait désabusé de deux marginaux de la France gaullienne de 1960.
Cécile Corsi