Le lac aux oies sauvages est un film chinois réalisé par Diao Yinan.
Epousant les formes artistiques du film noir à l’ancienne, gorgé de références cinématographiques comme la Nouvelle Vague française, ce polar urbain étonne par bien des aspects. Un homme balafré se tient seul sur un quai de gare. Zhou Zenong est un chef de clan de l’immense ville de Wuhan. Il est traqué et se heurte à une jeune femme. C’est Liu Ai’ai, une prostituée appelée plus élégamment « une baigneuse » car elle vend ses charmes sur les bords d’un lac. Elle lui propose un marché et il lui raconte son histoire. A partir de cette trame, somme toute assez banale pour le genre, Diao Yinan nous plonge dans la faune interlope de la Chine contemporaine à travers un florilège de personnages qui traversent le film à vitesse grand V : prostituées, souteneurs, petits caïds, commerçants corrompus…Toute cette humanité mortifère s’agglutine autour d’un lac dont le nom à la mystérieuse beauté détonne avec le lieu. Zone de non-droit au milieu de la ville, elle est la plaque tournante de tous les trafics mais aussi le cul de sac de tous les espoirs de ceux qui viennent s’échouer sur sa plage. Colonisé par les pègres locales, le lac symbolise en lui-même la déliquescence des grandes villes. Le réalisateur y plonge tous ses personnages dans un méli-mélo de violences débridées qui n’est pas sans rappeler par ailleurs, le cinéma de Shohei Imamura. Le film en son entier est une chasse à l’homme, alors on court beaucoup et l’on se bat violemment même si le deuxième degré prend parfois le dessus. En effet, le sang est toujours trop rouge, les scènes de combats sont des clins d’œil aux films d’arts martiaux, quant aux courses poursuites en scooters pétaradants elles sont chorégraphiées pour amplifier le suspense jusqu’au grotesque. Cette distanciation est accentuée par la photographie du film qui baigne dans des couleurs tantôt bleu profond, tantôt rose vif comme pour mieux souligner le caractère sociologique du propos. Ici, nous sommes dans la ville du dessous. Et de cette beauté formelle, l’histoire policière tire sa force ou, c’est selon, sa faiblesse. On pourrait n’y voir, après tout, qu’un fourre-tout scénaristique violemment éclairé aux néons. Mais c’est compter sans la virtuosité de Yinan qui, après une heure cinquante de course-poursuite dans la pluie et le froid, nous propose une lueur d’espoir réconfortante et clôt son film avec une délicatesse consommée.
Cécile Corsi