Avez-vous déjà pleuré en lisant L’Odyssée ? Non ? L’avez-vous lue, au moins ?

 

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Quant à moi, je l’ai lue mais j’avoue qu’il m’aura fallu attendre cette adaptation pour verser une larme sur le destin du fils de Laërte et d’Anticlée. Vous me connaissez, je suis pourtant un dur à cuire, mais Jean Harambat également, dont le talent tout à fait singulier parviendrait même à vous faire aimer le rugby, si jamais l’on pouvait comprendre quelque chose au rugby (En même temps que la jeunesse, Actes sud, 2011). Aussi joue-t-il sur du velours en adaptant seulement les derniers chants de L’Odyssée, ceux du retour à Ithaque, les plus émouvants, les plus humains, où le héros légendaire se fait homme et n’a plus affaire qu’à ses propres démons en place de sirènes, de cyclopes et de sorcières. Car ce retour, après vingt ans d’absence, n’a rien d’évident : Ulysse a vieilli, il a changé et doit reconquérir son trône et son épouse, assiégés par une meute de prétendants voraces. Une fois de plus, il lui faudra ruser, revêtir les loques d’un mendiant, passer inaperçu et ne se faire reconnaître que de quelques fidèles, au premier rang desquels Argos, son vieux chien, qui n’attendait pour mourir que le retour de son maître (c’est là que j’ai pleuré). Bien sûr, on connaît la fin, le concours de tir à l’arc et le massacre des prétendants, la preuve exigée par la reine Pénélope… mais c’est une nouvelle lecture qu’en donne Jean Harambat, comme une vivante leçon dessinée – sans un trait de trop et dans une gamme sobrement aquarellée – éclairée par les commentaires de Jean-Pierre Vernant (qui fut l’un des plus grands spécialistes mondiaux de la pensée grecque) de Jacqueline de Romilly et de bien d’autres acteurs, inattendus parfois, comme un signe supplémentaire de l’universalité d’un texte fondateur de toute notre culture. Une culture de nos jours bien mise à mal, puisque le livre s’achève sur la fermeture de l’unique bibliothèque d’Ithaque, faute de lecteurs. Après tout, ce jour viendra peut-être pour nous aussi : que nous restera-t-il alors, sinon nos yeux pour pleurer sur de beaux livres tout gondolés ?

Yann Fastier