C’est bien connu, le quotidien du dessinateur de petits mickeys est un chemin semé de roses.
Libre de son emploi du temps, il se lève à pas d’heure, griffonne vaguement quelques bonshommes à gros nez que les éditeurs s’arracheront à grands coups de chéquier, avant de s’envoler pour un salon prestigieux où trépigne depuis des heures le troupeau de ses fans. Du moins, c’est comme ça que ça devrait se passer si les choses étaient bien faites. Pour Daniel, la quarantaine galopante, ce serait plutôt l’inverse : il végète, les dettes s’accumulent et ses projets de documentaires sur« les difficultés du commerce de chenilles alimentaires en Afrique » ou « les conséquences de la grippe aviaire dans les Bouches-du-Rhône » ne font rêver ni les éditeurs ni les lecteurs. Réduit à faire tapisserie sur un énième salon, c’est en rechignant qu’il accepte de jeter un coup d’œil sur les essais du fils boutonneux de sa pharmacienne… et découvre un travail incroyable, « qui semble mêler tous les genres pour en créer un nouveau ». Le jeune homme semblant se désintéresser totalement de sa création, la tentation du plagiat, dès lors, devient forte, très forte…
Surtout (mé)connu pour ses albums sur « Les énergies extrêmes » ou « L’affaire des paillotes », Daniel Blancou aura trop mis de lui-même dans cette histoire pour qu’on le soupçonne de l’avoir volée à quiconque. L’autodérision est un sport de vieux, ce qui reste quand les illusions sont tombées, tels ces fruits trop mûrs qui, souvent, font les meilleures confitures. Toute amertume absente, l’auteur n’en relève pas moins son propos d’un bon jus de citron, juste assez pour faire grincer quelques dents en épinglant les ridicules et les travers d’un milieu qu’il connaît manifestement très bien. Si bien que ce qui aurait pu facilement tourner au règlement de comptes se contente en réalité de faire un excellent album, d’un parfait classicisme sous ses allures d’objet design (graphisme stylisé, couleurs en à-plats, trames visibles…) Réflexif sans tomber dans le piège toujours un peu vain de la mise en abyme, ce pourrait bien n’être rien d’autre, au fond, qu’une déclaration d’amour un peu bougonne à un métier qui n’aura pas toujours tenu ses promesses.
Yann Fastier