Un homme. Un cabot. Une pioche. Trois mots pour résumer une vie.
De cet homme, traqué à travers bois, on ignore tout. On ne connaît pas son nom, ni les motivations qui l’ont poussé à rejeter la compagnie de ses semblables, ni les événements qui l’ont contraint à prendre la fuite. On le sait simplement à la poursuite d’un but ultime. Immergé dans une nature tour à tour protectrice ou hostile, il cherche à rejoindre un mur. Rien ne saurait le détourner de sa quête, surtout pas ses souvenirs, réminiscences du jeune idéaliste qu’il fut, il y a longtemps, et qui a renié ses rêves au point d’accepter toutes les compromissions. Etait-il plus une bête avant quand, mouton grégaire, il subissait son destin, ou maintenant, prédateur isolé, alors qu’il se nourrit de baies qui lui vident les tripes, et dort sur des lits de mousse ? Pas de gras. Ni sur la carcasse de l’homme, ni dans l’écriture, précise et dense de ce court roman. Moins de 200 pages, épuisantes. A patauger dans les tourbières, escalader des roches, souffrir du froid et de la faim. Et ce n'est pas tant physiquement que le voyage est harassant mais bien à cause de l'introspection à laquelle il faut se résoudre pour suivre les traces du fugitif. A quel moment a-t-on oublié la sensation du vent sur notre peau, de la terre sous nos ongles, le nom des arbres et le feu des orties ? A quel détour de chemin a-t-on abandonné nos saines révoltes, s’est-on laissé limer les crocs ? Patrick K. Dewdney est né en 1984. Sa lucidité est insolente, douloureuse, libératrice. Son roman fait mal, sa lecture est salutaire et dangereuse. Tenez-vous quelques temps éloigné des magasins de bricolage. Vous risqueriez fort, vous aussi, d’être tenté de vous armer d’une pioche et de montrer les dents.
Marianne Peyronnet