C’est entendu, on ne choisit pas sa famille.
On ne découvre cependant pas tous les jours sur son arbre généalogique un triste sire du calibre de ce Jacques-André Lullin de Châteauvieux, marquis d’ancien régime et « propriétaire » d’un régiment de Suisses au service du roi Louis XVI. C’est pourtant bel et bien le cas de Daniel de Roulet, aristocrate malgré lui qui, en anarchiste confirmé, entreprend ici de rétablir la balance au risque assumé de salir la mémoire du grand homme.
Car le « Châteauvieux » ne fut pas n’importe quel régiment. Alors que la Révolution n’en est qu’à ses débuts et qu’il n’est pas encore question de décoller les Capet, il sera l’un des premiers à se mutiner face aux prévarications et aux brutalités de ses chefs. Sévèrement réprimée, la rébellion s’achève dans le sang. Les mutins qui ne sont pas roués ou pendus sont envoyés au bagne avant d’être libérés en héros, un an plus tard, alors que le vent révolutionnaire a forci. Et le bonnet rouge des condamnés de devenir le fameux bonnet « phrygien » de nos mairies et timbres-poste par l’une de ces ironies dont Clio a le secret.
Pour raconter cette histoire, Daniel de Roulet s’est inspiré des noms des « Châteauvieux » inscrits dans le registre du bagne de Brest, s’attachant plus particulièrement à l’un d’eux, Samuel Bouchaye, menuisier genevois de 19 ans, dont il extrapole la brève existence avec ferveur et délicatesse, de la Révolution genevoise de 1782 aux touchantes retrouvailles avec sa petite fille, en route pour l’Amérique. Au-delà de la vindicte de l’auteur à l’encontre de son encombrante parentèle, ce court roman en prose dite « coupée » trouve naturellement sa place dans le courant qui, d’Howard Zinn à Éric Vuillard (et après Michel Ragon), entend réécrire l’Histoire du point de vue de ceux qui la subissent. Et les rétablir de façon poignante dans la seule véritable noblesse, qui est de mériter le nom d’être humain.
Yann Fastier