Patrick Jackson, prof d’une trentaine d’années, est mourant.
Atteint d’un cancer incurable, alité sur un lit d’hôpital, il se remémore des instants marquants de sa vie. Les journées sont longues, les souvenirs innombrables. Sans qu’il ait à les convoquer, ils affluent. D’autant que les proches venus lui rendre visite sont chargés de mémoire et la relation qu’il entretient avec chacun d’eux s’avère riche en émotions, perturbante en tout cas, pour le moins. Sarah, sa mère, veuve austère parlant peu, lâchant d’amères critiques, semble s’imposer à sa compagnie par devoir plus que par envie. Sa sœur Margaret est l’unique personne dont la présence le réconforte. Quant à son beau-frère Robert, il préfère le congédier.
Alternant phases où le narrateur est seul dans sa chambre et laisse divaguer son esprit, passages où les conversations peinent à remplir les vides, épisodes fixés dans le présent et retours dans le passé, l’existence de Patrick prend corps, ce qui l’en reste. Si le point de départ est un refrain connu (la figure du malade qui se rappelle est proche du cliché), La surface de l’eau s’écarte rapidement du lieu commun pour mieux surprendre. Le récit, tout en digressions, non-dits, ruptures de rythme au fil des soins prodigués par des infirmières plus ou moins amènes, interruptions du flot de la conscience du héros par la présence d’intrus, est construit afin que l’on s’accroche à la plus infime information digne d’être retenue pour mieux comprendre la personnalité de Patrick et des membres de sa famille. Ce n’est qu’avec une attention soutenue que l’on progresse, que l’on saisit pourquoi il semble y avoir si peu d’amour entre eux, si peu de témoignages d’affection. Pourquoi Sarah est-elle si raide avec ses enfants ? Qu’a-t-elle dû subir ? Pourquoi Margaret paraît-elle si fragile et Robert si détestable ?
Patrick lève le voile et raconte avec parcimonie. Il raconte l’Irlande, celle du nord, à Derry, celle du conflit qui pèse en plus du fardeau des contraintes, religieuses, familiales, ancestrales. Il conte la mort d’une enfant sur une route de campagne, celle d’un militaire sur une plage, celle de son père, de son grand-père. Il révèle peu à peu ce que les mensonges font aux gens, ce qu’ils laissent de peine derrière eux. Sans pathos, il décrit, dans ce fil ténu où l’histoire de l’Irlande se fond dans celle de sa famille, dans ce roman terriblement triste mais jamais sordide, fait d’actions manquées, de paroles avortées, où les vies se composent de clapotis, de remous, de tempêtes, le tout noyé sous la surface de l’eau.
Marianne Peyronnet