Ceux pour qui le mot manga n’évoque encore que Dragon ball, One Piece ou Naruto auraient tout intérêt à jeter un coup d’œil du côté de ce nouvel album de Shizuka Nakano.
Voilà une autrice qui déjoue tous les préjugés en la matière. D’une part, elle n’occupe guère de place sur les rayons, puisqu’il ne s’agit que de son troisième livre en français depuis 2006, après Le Piqueur d’étoiles (IMHO, 2006) et Le Semeur d’étoiles (IMHO, 2012). D’autre part, son dessin est à l’opposé de tous les clichés d’un « style » manga qui, rappelons-le, n’a jamais existé que par l’appauvrissement et la sclérose progressive d’une infinité de styles. La preuve par Nakano, donc, dont le dessin, très « graphique », presque schématique par moments, ne ressemble à rien de connu dans les collèges. Qu’on ne le juge pas ingrat pour autant : parfaitement lisible, il s’avère d’une grande efficacité pour peu qu’on veuille bien se laisser tenter par une histoire énigmatique et teintée d’onirisme qui voit deux jeunes gens s’enfoncer dans une forêt où des petites filles vêtues de blanc semblent vivre en une lumineuse et potentiellement vénéneuse autarcie. Là encore, on est loin des histoires de baston, plus près de Mizuki et de ses histoires de yokaï. Plus près encore de l’Allemand Frank Wedekind et de son troublant Mine-Haha (1903) ou bien d’Innocence, l’adaptation cinématographique qu’en fit la réalisatrice Lucile Hadzihalilovic en 2004.
Par-delà les références, ce livre à l’écart de toutes les modes est de ceux, trop rares en bande dessinée comme ailleurs, d’où l’on ressort ragaillardi comme d’un bain d’intelligence et de finesse, avec le sentiment d’avoir grandi. C’était déjà le cas des précédents recueils de Nakano, dont les courtes nouvelles, très elliptiques, ouvraient à chaque fois sur des univers denses et riches de potentialités. En se lançant comme ici dans un récit plus long, elle ne démérite pas et parvient – Dieu sait comment – à ne pas désespérer ses lecteurs d’avoir à attendre le prochain si longtemps.
Yann Fastier