Publié pour la première fois en 1971, adapté au cinéma par Robert Mulligan en 1972, L’autre se déroule dans les années 30, le temps d’un été, dans une vaste propriété du Connecticut.
Des jumeaux d’une dizaine d’années, Holland et Niles, inventent histoires et jeux pour combler l’ennui de journées interminables loin de l’école. Depuis la mort de leur père et la dépression subséquente de leur mère, les deux enfants, jusque-là fusionnels, s’éloignent l’un de l’autre sous l’impulsion de Holland qui semble s’épanouir dans la solitude lors d’escapades secrètes. Seule Ada, la grand-mère, cherche à maintenir du lien dans cette famille bientôt frappée à nouveau par de terribles drames.
Niles est le narrateur de cette histoire étrange. C’est sous son prisme que les événements, de plus en plus tragiques et sanglants, prennent corps. Par sa façon de raconter, par les mots qu’il emploie, il emporte l’empathie du lecteur quand ce dernier comprend l’emprise que Holland, son aîné de quelques heures, exerce sur lui. Les jumeaux ont, en effet, des personnalités opposées. Autant Niles est doux, affectueux, obéissant, autant son frère est malicieux, prompt à fomenter de mauvais plans, comme pendre le chat. A mesure que les tragédies se multiplient, la perversité de Holland grandit, fascine Niles tout en l’effrayant. Le malaise, la tension ne cessent de s’accroitre. Tryon maîtrise son récit à la perfection. Lent d’abord, reflet de la langueur s’emparant des êtres sous le soleil brûlant, il s’accélère à mesure que les découvertes macabres épouvantent les habitants de la demeure, que les révélations s’enchaînent et distillent l’effroi. Parsemé de passages oniriques fondés sur les contes narrés par Ada, sur les histoires fantastiques inventées par les enfants, le récit tend vers l’étrange, puis bascule dans l’horreur.
Porté par une analyse psychologique très approfondie des personnages, L’autre sidère. Roman de la folie, de l’altérité, il n’est pas sans rappeler une autre plongée dans le bizarre, celle de Faux semblants, film de David Cronenberg sorti en 1989, où la relation entre deux jumeaux gynécos joués par Jeremy Irons, leur façon de communiquer presque par télépathie, de s’enfermer dans leur propre monde, créaient là aussi une forte angoisse.
Marianne Peyronnet