Cela fait déjà 25 ans que Paul nous enchante et le mystère perdure :

 

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qu’est-ce qui nous fascine tant dans cette entreprise autobiographique au long cours dont le protagoniste, double à peine fictif de l’auteur, ne vit somme toute rien que de très ordinaire – rien, du moins, que nous autres petits-bourgeois nés dans les années 60 ne puissions avoir vécu plus ou moins de la même manière, l’accent du Québec en moins ? Le secret réside sans doute dans l’empathie que parvient à susciter Michel Rabagliati, une empathie qui tient à la fois de la sincérité du propos, de la justesse de son positionnement et d’un art incontestable de la narration. Tard venu à la bande dessinée (après avoir été longtemps graphiste et illustrateur), Michel Rabagliati n’a jamais éprouvé le besoin de faire le jeune homme ou de casser la baraque : né sous l’influence de Franquin, son style un peu raide refuse d’emblée d’en faire trop. Sans minimalisme mais avec le souci constant de la lisibilité, il revendique une certaine économie de moyens, une absence d’ostentation qui convient parfaitement au récit. Rien de narcissique, en effet, dans cette autobiographie : Michel Rabagliati ne parle pas tant de lui-même que de son époque et de ceux qu’il a connus. De Paul à la campagne à Paul à la maison, c’est avec une attention aux autres et une tendresse inchangées qu’il évoque sa famille, des amis parfois disparus, tout un monde fragile dont il conserve précieusement la mémoire avec une émotion toujours équilibrée par l’humour et une bonne dose d’autodérision. Ce n’est pas toujours facile : Paul à la maison, en 2019, le voyait traverser une fort mauvaise passe. Des deuils successifs, un divorce douloureux, le départ de sa fille, le temps qui passe avaient fait naître des doutes chez un auteur jamais tout à fait sûr de sa légitimité, malgré le succès. Était-ce la fin d’une histoire dont il avait le sentiment d’avoir fait le tour ? Michel Rabagliati l’évoquait lui-même il y a quelque temps au cours d’un entretien avec Michel Giguère. Mais il évoquait également le désir encore flou de sortir de sa « zone de confort » en passant par une forme mêlant textes et dessins d’une façon différente, plus proche du Gemma Bovery de Posy Simmonds que du format BD traditionnel.

C’est chose faite avec Rose à l’île, où l’expression « roman graphique » prend enfin tout son sens, entre texte typographié et dessins au crayon, d’un rendu plus délicat que le noir et blanc trop tranchant de l’encre de Chine. Paul est enfin de retour pour notre plus grand plaisir et pour de courtes vacances sur une île du Saint Laurent, une escapade de quelques jours avec sa fille Rose, entre belles rencontres et petits riens. Une escapade dont on espère sincèrement qu’elle préfigure une embellie : de fait, il y a comme une douceur inédite dans ce livre sensible, une lumière toute neuve et quelque chose qui tient de la convalescence.

Allons ! L’humour est intact, la tendresse itou : tous les espoirs sont permis.

Yann Fastier

Pour aller plus loin :

Paul : entretiens et commentaires, de Michel Rabagliati et Michel Giguère

La Pastèque, 2021

Une suite d’entretiens passionnants avec le critique M. Giguère où Michel Rabagliati dit tout (ou presque) de sa démarche, de ses influences et de ses doutes. L’ouvrage analyse également la manière de l’auteur de Paul, ses techniques narratives et les récurrences d’une œuvre en passe de figurer parmi les classique de l’autobiographie dessinée.