Publié en 1959, le premier roman de Shirley Jackson la place d’emblée comme une pionnière du roman néo-gothique et de l’horreur moderne.

 

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La maison hantée reprend la figure du scientifique passionné d’ésotérisme désireux de confronter ses connaissances à des phénomènes inexpliqués. Hill House est une demeure édifiée par un riche industriel au XIXème siècle. Construit au fond d’une vallée isolée, entouré de montagnes sombres et de forêts denses, le manoir n’a jamais su retenir ses habitants. Ses locataires successifs ont préféré fuir les lieux après quelques nuits blanches. Le Docteur Montague y convie des hôtes pour un séjour en ses murs. Eleanor est la première à répondre à l’invitation. Pour la jeune ingénue (victime de poltergeists dans son enfance), entreprendre le voyage et se retrouver seule parmi des étrangers est une victoire, le signe de son émancipation. Sa mère, acariâtre, vient de mourir et Eleanor n’a jamais rien fait d’autre que s’occuper d’elle. Assujettie aux désirs de cette femme malade pendant des années, obligée de loger chez sa sœur depuis son décès, Eleanor n’a aucun avenir. Future vieille fille n’ayant rien vécu, timide, oie blanche, elle est le principal témoin des événements étranges qui vont se dérouler au cours du récit. Théodora est son exact contraire. Excentrique, émancipée, joyeuse et délurée, choisie pour ses dons de télépathe, elle prend vite ses aises parmi l’assemblée. Luke, qui n’a d’autre talent que d’être le neveu de la propriétaire actuelle, se joint à la troupe. Quatre personnages aux psychologies très marquées se rencontrent donc dans la vaste bâtisse pour y loger le temps d’un été et mener observations et expériences. Hill House dévoile peu à peu ses secrets. Avec ses pièces sans fenêtres au centre de l’édifice et ses différentes chambres donnant sur un jardin lugubre, ses portes qui claquent et refusent de demeurer ouvertes, ses planchers qui penchent, la maison, de bizarre devient vite angoissante, comme animée d’une volonté propre. Shirley Jackson s’y entend pour faire grimper l’angoisse par palier et il faut reconnaître que certains épisodes font toujours frissonner. Chaque nuit est une nouvelle épreuve. Un vent glacial s’engouffre entre les cloisons claquemurées, des inscriptions apparaissent sur les lambris, des rires, des cris à rendre sourd sont entendus… les convives sont secoués par les divers phénomènes qui surviennent, et Eleanor semble plus atteinte que ses comparses. L’auteure nous fait entendre sa voix, suivre ses raisonnements, nous plonge dans son état proche de la folie. Fragile, Eleanor semble rapidement sous l’emprise de la maison. Comme elle était l’esclave de sa mère ? Peut-être. Shirley Jackson, ayant eu elle-même une mère difficile, ayant souffert de son statut d’épouse et mère au foyer, confrontée à des épisodes dépressifs, a peut-être, à travers son héroïne, donné à comprendre les méandres de son propre mal-être.

Quatre ans après la parution du roman, Robert Wise en réalise une adaptation très réussie, sorti en France sous le titre La maison du diable. Suivant de très près la construction narrative de l’histoire, le film immerge le spectateur dans des décors ténébreux, une ambiance étouffante décuplée par le huis clos subi par les protagonistes. Sans effets spéciaux impressionnants, privilégiant la suggestion plutôt que des images (trop) réalistes, ce classique du cinéma d’épouvante conserve toute sa force. Quelques scènes d’anthologie encore gravées dans ma mémoire ont marqué mon adolescence, et forgé mon goût pour les films de genre, le genre qui fait peur.

Marianne Peyronnet