Il faut l’avouer, la plupart des Français n’ont du Brésil que des notions assez vagues, parfois teintées de cette vague condescendance qu’on réserve aux gens vivant en short à l’année : on a du mal à les prendre au sérieux.

 

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Cet immense pays a pourtant une histoire, et une histoire souvent violente, dont Matthias Lehmann, avec ce nouvel album, nous coupe une belle tranche, servie sur un plateau.

De 1937 aux années 90, les hauts et les bas se succèdent chez les Wallace. Le Père, industriel du Minas Gerais, coureur et prévaricateur, emploie les Chemises vertes de Plínio Salgado comme briseurs de grève. La mère, écrivaine frustrée, crache les gosses au même rythme que ses clopes. L’aîné, Severino, deviendra journaliste, apprenti guérillero sous la dictature, pour finir auteur de best-sellers. Le suivant, Ramires, est un bellâtre insouciant, tout juste bon à se couvrir de dettes. Quant aux deux petites dernières, elles s’en remettront à leur grande sœur, catholique à poigne qui dirige la maisonnée d’une main de fer. Et tout cela grouille et se frotte, se déchire et se rabiboche, s’éloigne et se retrouve, ballotté par une destinée complexe où petite et grande histoire font des nœuds, magistralement ourdis par un Matthias Lehmann au meilleur de sa forme depuis La Favorite (2015). Nul mieux que le franco-brésilien ne pouvait brasser une matière aussi riche, où références historiques, culturelles et, surtout, personnelles, s’entrechoquent en un vaste récit choral qu’il vaudra mieux lire d’un trait sous peine de ne plus s’y retrouver entre tant d’époques et de personnages. Cette histoire, avoue-t-il dans une courte postface, c’est peu ou prou celle de sa famille maternelle. C’est aussi celle du Minas Gerais et de sa capitale, Belo Horizonte, et puis celle du Brésil tout entier, celle des interminables dictatures militaires qui s’y succéderont des années 30 au milieu des années 80, avec la bénédiction des États-Unis et la complicité plus ou moins active de beaucoup de Brésiliens, pas toujours aussi détendus qu’ils en ont l’air.

Œuvre totale, fourmillante et exigeante, Chumbo n’oublie cependant jamais d’être une bande dessinée, sûre d’elle-même et de ses moyens. Paradoxalement, cette fluidité, cette évidence sont aussi ce qui fait de cet album un grand roman, graphique ou non, un roman brésilien qui ne démérite certes pas d’un Diadorim ou d’un Dona flor et ses deux maris.

Yann Fastier