A l’heure des formules à l’emporte-pièce, des affirmations balancées en deux lignes à la va-comme-je-te-pousse sur les réseaux sociaux, voilà un ouvrage qui a de quoi réjouir.

 

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A l’heure des vérités définitives attribuées à des auteurs morts, relayées à l’envi sur Facebook ou X, sans souci de vérifier la paternité des dites allégations, enfin un document qui propose une réflexion fondée sur des années de lectures, de recoupements, de questionnements, bref de travail.

Natacha Levet est professeure et chercheuse, spécialiste des littératures populaires à l’université de Limoges, et si elle fait montre ici du sérieux nécessaire à l’étude de son sujet, qu’elle cite ses sources et étaye sa démonstration d’une imposante documentation, elle prouve surtout qu’on peut instruire sans ennuyer. Sa passion pour les œuvres qu’elle cite transpire à toutes les pages et s’avère contagieuse. Les extraits sélectionnés illustrent parfaitement sa thèse et permettent des respirations appropriées. Le choix assumé des auteurs et des romans étudiés, si l’on devine le crève-cœur qu’a dû être l’entreprise, lui permet à merveille de retracer le contexte, politique, historique et social dans lequel ils ont émergé, d’analyser leur style, de les placer dans des courants de pensée, de mesurer leur impact sur leurs contemporains, depuis leurs racines jusqu’à aujourd’hui.

Suivant un découpage chronologique, l’auteure s’attache donc à démontrer que le roman noir en France, même si l’influence des récits harboiled américains n’est plus à démontrer dans les années 40, trouve aussi ses origines dans d’autres formes littéraires et emprunte aussi bien au roman gothique qu’au roman feuilleton, en passant par le roman social et prolétarien, ou encore au western… D’évolutions en transformations, il se modifie dans la forme et le fond sans jamais se départir de sa dimension critique, de sa vision pessimiste – réaliste diront certains- de l’existence, sans cesser de chercher les causes profondes aux comportements des hommes.

De Simenon, Meckert, Malet à Chainas, DOA ou Pagan en passant par Manchette ou Pouy, de la place des femmes, écrivaines ou héroïnes, dans le genre au type de lectorat ou à l’évocation des collections emblématiques ou plus confidentielles, du néo-polar aux mutations les plus récentes, les sujets abordés sont innombrables et le panorama édifié par Natacha Levet est si vaste que le résumer est une tâche vouée à l’échec. Intello, ce roman noir, une histoire française ? Certes, mais qui a dit qu’il fallait tirer les gens vers le bas ? L’auteure en appelle à notre intelligence, à notre insatiable curiosité et elle a bien raison. Car, en fin de compte, restent la fluidité de l’ensemble, l’impression d’avoir appris beaucoup, sans peine, et surtout cette envie de (re)lire des romans inconnus ou des grands classiques qui nous submerge à chaque chapitre. Pari réussi pour ce documentaire chic d’une universitaire de choc.

Marianne Peyronnet