Le renard est un vivant paradoxe :

 

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quand il n’est pas traqué, déterré, empoisonné, décimé, dépecé tout vif et menacé d’extinction par la troupe intrépide des régulateurs de la nature et des amateurs de plein air, le goupil a le vent en poupe dans le livre pour enfants où son capital de sympathie dépasse toujours d’une bonne tête celui du reste de la faune forestière. De même, on l’a déjà souligné dans ces pages, le livre tout court ne se prive pas d’afficher en tête de gondole et plus souvent qu’à son tour la couleur flamboyante et le fin museau du petit canidé. Bref, le renard fait vendre. On n’ira certes pas le lui reprocher quand on aura lu Rousse.

Rousse est une renarde. Une joyeuse et « jeune renarde à robe flamboyante, dont beauté et finesse d’esprit attiraient de nombreux soupirants ». Or, dans le Bois de Chet règne une terrible sécheresse. L’été semble ne jamais devoir finir, tuant les arbres et asséchant les rivières. Curieuse et poussée par la nécessité, Rousse choisit d’aller voir si l’herbe est plus verte de l’autre côté de l’horizon. En chemin, elle échappera à de nombreux dangers, se fera autant d’amis et trouvera un maître en la personne d’un vieux corbeau qui lui enseignera tout ce qu’il sait d’un monde qui n’est plus tout à fait le nôtre. Car s’il est un grand absent dans cette odyssée à quatre pattes, c’est bien l’homme. L’homme, dont les animaux ont perdu jusqu’au souvenir mais dont la présence en filigrane est partout pour le lecteur dans cette nature radio-active, peuplée de monstres et réchauffée qui reprend pourtant doucement ses droits. En ce sens, Rousse n’est pas seulement un roman animalier, digne de Genevois et de Pergaud : il nous parle également de nous, de notre responsabilité dans le saccage d’un univers dont nous nous sommes crus à tort propriétaires au détriment de tous ses « beaux habitants ». Post-apocalyptique, anti-spéciste… au-delà des catégories à la mode, Rousse renoue avec toute une tradition qui, de Bambi aux Garennes de Watership Down tente de restituer au plus près une perception animale du monde. Exercice toujours un peu acrobatique dont le primo-romancier Denis Infante se tire à merveille en supprimant tout bonnement les déterminants de son texte. Sans gêner la lecture, l’effet de décentrement se révèle efficace et nous voilà renarde pour une heure ou deux, humant l’air et salivant à la recherche des nuggets de poulet les plus proches.

Yann Fastier