Vieux bonhomme un peu grincheux et réfractaire, Ebenezer Le Page voit peu à peu disparaître sur l’île de Guernesey, qu’il n’a quitté que pour quelques incursions à Jersey, sa famille et ses amis.

 

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De plus en plus seul, triste d’un amour déçu que les aléas de la vie n’ont jamais permis de concrétiser, livré à lui-même, il entreprend de raconter sa vie dans un journal, le prétexte de trouver un héritier convenable pour sa maison et ses quelques biens lui fournissant une occasion d’étudier parents éloignés et habitants de la petite île, et d’observer l’abnégation et la bienveillance, les mesquineries et compromissions, qui finissent par composer la vie d’une communauté.

Né en 1899 à Guernesey, lié au milieu littéraire anglais dans les années 20, Gerald Basil Edwards, aussi brillant que velléitaire, selon ses amis, tentera une biographie de D.H. Lawrence qu’il ne mènera pas au bout, contribuera à une revue littéraire sans entreprendre de vrais projets d’écriture. Jusqu’en 1933, où il abandonne sa femme et ses quatre enfants pour mener une vie de reclus. Il travaille alors pendant des décennies à ce qui deviendra Le Livre d’Ebezener Le Page. Ce n’est qu’en 1967 que sa fille parviendra à retrouver sa trace, à Weymouth, ville côtière du Dorset située en face de Guernesey, où il survit dans une pension, trop pauvre pour retourner sur son île. Il ne parviendra jamais à faire publier son livre. Ce n’est qu’après sa mort en 1976 qu’il sortira en Angleterre et rencontrera un succès critique important. On ne connaît pas d’autres œuvres de lui, puisqu’il avait demandé à sa logeuse de brûler tous ses manuscrits après sa mort.

Maurice Nadeau le publiera en France en 1982, et présentera l’œuvre comme une « exceptionnelle réussite, un subtil, complexe et magique composé d'espace, de temps, de souffrances et de joies humaines, [qui] se tient ainsi entre terre et ciel pour une éternité de lectures. »

Paradoxalement, il est difficile de cerner ce qui fait de ce livre une « exceptionnelle réussite », tant ses nombreuses qualités sont parfaitement imbriquées les unes dans les autres, fondues dans l’écriture et l’histoire, dans ce personnage qui, comme Montaigne, érige le doute en valeur cardinale, et, si bien installé dans l’humilité de son existence et la sincérité de sa condition, semble conter à hauteur d’oreille toute la complexité d’une existence simple, où le bonheur se niche parfois simplement dans l’étincelle d’une rencontre, dans la grâce d’un sourire.

Ainsi se déroule, dans cette autobiographie fictive, la vie sur l’île de Guernesey, dans toute son austérité et son isolement, pendant le début du vingtième siècle, la vie d’un homme simple, ni bon, ni mauvais, dont la curiosité et l’enchantement arrivent à faire de cette île un monde, et de sa vie une épopée. Un vieil homme superbe !

Lionel Bussière