A l’été 1986, quelque chose de grand se prépare dans la vie de James dit Noodles.
Un concert rassemblant les Smiths, The Fall et New Order. The concert ! Pour James et ses potes, le voyage vers Manchester est un rêve éveillé. Les gamins n’ont encore jamais quitté l’Ayrshire, leur coin du sud de l’Ecosse. L’Angleterre leur semble un paradis. C’est Tully Dawson l’instigateur de la virée. Tully, ce type de 20 ans fantastique et fantasque, charismatique, beau comme un Dieu, celui qui « n’est pas tant le papillon que l’air qui le porte. » Tibbs, Limbo et Hogg seront de la partie. Les cinq billets en poche, le trajet en bus est déjà l’aventure vers une soirée qu’une vie ne suffira pas à faire oublier. Automne 2017, un message de Tully à Noodles rappelle à ce dernier une terrifiante évidence. Rien ne dure. Notre passage sur terre ne saurait être qu’éphémère.
Le découpage du roman en deux périodes distinctes, éloignées dans le temps, n’augure d’entrée rien de bon. Les personnages, ados dans la première partie, ne peuvent avoir que pris des rides, des kilos, de la sagesse. Et le contraste, la différence de ton entre les deux heurte effectivement, comme s’il s’agissait de deux romans distincts.
Roman n°1. Tully et sa bande incarnent à merveille l’esprit so british des angry young men des 50’s, dont ils ne cessent de faire référence à travers des citations de Samedi soir, dimanche matin, cette œuvre mythique de Sillitoe dans laquelle le héros, jeune prolo de la classe ouvrière, passe ces week-end à se mettre la tête à l’envers pour oublier sa désespérante semaine à l’usine. Trente ans les séparent de cet Arthur fictif mais la rage demeure. Contre Thatcher et son inflexibilité qui a conduit des milliers de mineurs au chômage après des mois de grève. Contre leurs pères aussi, désormais désœuvrés, humiliés, alcooliques souvent, dont ils ont un peu honte. Contre l’Ecosse, si éloignée de leurs aspirations. Heureusement, il y a la musique, ces morceaux et « ces paroles que nous chantions (qui) étaient idiotes, romantiques, mûres et britanniques, faites sur mesure pour la jeunesse clairvoyante. » Heureusement, il y a le foot, la bière et les joints, les films, les livres et les disques, et toutes ces choses intimes, l’humour et la tendresse, que seuls des potes partagent. Toute une vie résumée par cette soirée qui se termine sur le toit d’un immeuble à regarder l’univers et se remettre de leur exaltation, après le concert et la découverte de l’Hacienda, en cette « mauvaise époque pour danser, bonne époque pour complexer. »
Roman n°2. Du groupe de copains, seuls Tully et James, le narrateur, ont poursuivi une relation soutenue au fil des ans. D’autres ont disparu ou se sont éloignés. Le temps n’est plus au bouillonnement adolescent, plutôt au bilan, l’avenir s’annonçant sombre. Cette deuxième partie n’exhale plus la fraîcheur de l’immaturité, des expériences à faire, et l’auteur adapte sa narration au propos. Les chansons demeurent, ainsi que les références communes à la littérature ou au cinéma, mais elles sont devenues des éléments permettant de mieux se remémorer des moments de vie passés. Elles ont perdu l’instantanéité de la découverte mais ont gagné en intensité. De drôle et vif, l’histoire se meut en une description puissante en émotion de ce qu’est une amitié profonde sur le long terme. Les deux amis n’ont plus besoin de longues phrases, d’explications pour se comprendre. Sans être plus sages, ils ont atteint une forme de plénitude et saisissent désormais tout ce que leur a légué le milieu dont ils viennent, ce milieu ouvrier qui les a forgés, ces parents qu’ils méprisaient un peu. Le respect, la solidarité, l’absolue volonté de ne pas trahir, de ne pas se trahir.
Bien sûr, les deux récits n’en forment qu’un et s’enrichissent l’un l’autre, permettant de mesurer le chemin parcouru par les deux protagonistes, insistant surtout sur ce qui continue à les unir. L’œuvre est belle, bouleversante. Et si l’on préfèrerait évidemment que la jeunesse et sa fougue perdurent, Les éphémères confirment, douloureusement, que rien n’est éternel mais qu’une amitié longue comme la vie est un trésor inestimable.
Marianne Peyronnet