Peter Nestler ne fait certainement pas partie, comme Frederick Wiseman, Agnès Varda, Wang Bing ou Michael Moore,

 

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du club très restreint des documentaristes connus du grand public. Il est pourtant, aux dires de certains, l’un des cinéastes les plus importants d’Allemagne, voire même, selon Jean-Marie Straub (mais il faut toujours qu’il exagère), « le seul cinéaste allemand ». Il fut en tout cas l’un des plus novateurs, mais d’une façon discrète, qui ne sautera peut-être pas aux yeux du néophyte mais s’illustre surtout par la façon dont ses premiers films furent reçus : refusé partout, comme apôtre de la laideur et du banal, il eut à subir les reproches les plus saugrenus, comme celui de montrer des enfants trop mal habillés, ne parlant pas assez bien (Aufsätze), de faire parler un chenal, «étant entendu qu’un chenal ne parle pas » (Am Siel), de montrer les taudis de Mülheim, plutôt que d’en vanter les « curiosités » (Mülheim / Ruhr). Sur le plan cinématographique, alors que le cinéma-vérité connaissait sa plus grande expansion autour de Jean Rouch, Chris Marker et d’autres, il s’en distingue en refusant le son direct, instaurant un rapport dialectique très particulier entre le commentaire et l’image. Ce sera sa marque de fabrique, en quelque sorte, qui met en extase le cinéphile et dont se fiche bien, au fond, le regardeur lambda qui, lui, reçoit ces films pour ce qu’ils sont : de beaux fragments d’humanité. Car Peter Nestler est avant tout cela, un humain parlant des humains à d’autres humains, avec l’espoir infime de faire changer ce qui le doit.

Cette riche pertinente anthologie couvre l’ensemble de sa carrière, depuis son tout premier film, Am Siel (Le Chenal – 1962), un regard poétique – mais aussi politique – sur un petit village au bout d’un chenal marin, jusqu’au plus récent Tod und Teufel (La mort et le diable – 2009), le plus personnel, le seul de ses films où Peter Nestler dise enfin « je ». Il ne s’agit pourtant pas de lui, mais de son grand-père maternel, le comte Eric von Rosen, grand seigneur suédois, ethnographe et écrivain réputé, ayant enrichi les musées de Suède de nombreux échantillons rapportés de ses expéditions en Afrique et en Amérique du Sud. Il fut surtout un personnage d’une troublante ambiguïté, au point que Nestler, qui ne l’a pas vraiment connu, en avait toujours refoulé la mémoire. Ayant adopté – bien avant les nazis – le svastika comme emblème personnel (ce qui n’est pas sans donner une certaine étrangeté à certaines des images d’archives dont est surtout composé le film), il se voulait avant tout chasseur, dur au mal et ne craignant pas la mort. Celle des autres, s’entend : des animaux qu’il massacre allègrement, des peuples qu’il étudie sans trop se préoccuper de leur sort. Prototype du Blanc dominateur et conquérant, antisémite plus ou moins assumé, il fricote avec les nazis, avec Göring en particulier, qui se trouve être son beau-frère. Et même s’il prend ses distances au début de la guerre, il ne le fera jamais publiquement, assumant ainsi une proximité que Nestler met en évidence au moyen des propres archives de son grand-père, films et photos de famille, souvenirs et ethnographica d’une tribu vouée à la mort, claquemurée dans ses rêves pendant que le monde s’écroulait.

Yann Fastier