Gabriel Prigent fait son retour à la brigade criminelle.

 

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Ça fait six ans que sa petite fille a été enlevée alors qu’elle était sous sa surveillance dans le métro, six ans qu’il s’est épuisé à tenter de remonter la piste de sa disparition, qu’il a échoué. Après plusieurs séjours en HP, sous camisole chimique, il ne tient debout que parce qu’il reste convaincu qu’elle est toujours vivante, malgré les indices, têtus, qui s’acharnent à lui prouver le contraire, malgré ce qu’en pensent les autres, tous les autres, sa femme, ses collègues. Il a l’air d’un zombie, d’un fantôme. On le moque, on le craint. Il est rejoint au 36 par la commandante Laurence Verhaegen, transfuge de la DCRI, tandis qu’une première enquête leur tombe dessus. Un ancien cadre politique est retrouvé pendu à son domicile. Il se serait suicidé après avoir massacré son épouse et son fils. Rapidement l’affaire s’emballe. 2012. La gauche a remporté les élections, les têtes tombent aux plus hauts sommets de l’Etat, l’alternance s’organise. Le « suicidé » faisait partie de cercles équivoques, de réseaux troubles où se mêlent adeptes d’évasion fiscale et de parties fines, peu importe leur couleur politique. Au fil de leurs investigations, les deux flics font de sordides découvertes. Criminels notoires, prostituées de luxe, déviants de toutes sortes et de tous milieux, sexe, sexe, sexe, enfants, enfants, enfants… L’enfer au bout du chemin.

Plongée de 850 pages dans les tréfonds de l’âme humaine, où de terrifiants prédateurs côtoient des pervers en col blanc, on court, on se perd. On espère, à l’image des deux flics, finir par remonter à la surface, sortir de ce puits aveugle, revoir un peu de lumière. Prigent s’enfonce, on le suit, sans savoir s’il n’est pas en train de devenir tout à fait fou. Dark web, tortures, snuff movies, les pédophiles tissent une toile gluante, aux ramifications internationales, impliquant de plus en plus d’enfants, de plus en plus jeunes. Prigent les invente-t-il ? A-t-il une terrible faute à expier ? Dierstein nous immerge dans sa psyché, dans ses pensées, dans ses mots, ceux des voix qui le guident, de plus en plus obsédants, rapides, confus, tandis que Verhaegen fait le contrepoint, pragmatique, jusqu’à rejoindre son collègue au bord de la démence.

Comme on aimerait que tout ça ne soit que mirages, visions hallucinées nées de trips sous acide !

En 2012, on pouvait peut-être encore un peu s’illusionner. Rêver que la politique serait moins corrompue, qu’internet serait au service de la connaissance, et non un outil efficace au développement de nébuleuses abjectes. Mais Prigent et Verhaegen nous le rappellent ici, tout était déjà en place pour que les choses empirent. Outreau. Cahuzac. Théories gauchistes sur la sexualité libérée des enfants. DSK. Financement de la campagne de Sarkozy. Collusion entre le pouvoir, les flics, les journalistes, les juges. Les fragments du réel font écho aux éléments fictifs, qui n’en deviennent que plus tangibles. Les enfants souffrent. Echangés, vendus, soumis aux désirs de pervers, enchaînés, tués pour de l’argent. Des enfants issus de foyers, de la rue, les enfants des plus pauvres. Dans un monde où ce sont toujours les mêmes qui dictent les règles, les mêmes qui s’en sortent.

Les mirages n’en sont pas. Dierstein n’en rajoute pas. Son roman n’est pas complaisant, facile. Les images d’horreur passent toujours par un filtre. Aucun enfant ne hurle de sa cellule. Les supplices sont toujours passés, nous arrivent par les yeux des autres, au moyen de films ou de photos collés sous le nez de Prigent, Verhaegen, ou de quelques protagonistes obligés de les subir à notre place. C’est ce qui rend La cour des mirages à la fois supportable et d’autant plus terrible.

Marianne Peyronnet