Né en 1887 et mort en 1960, René Maran reste surtout connu pour avoir été le premier Noir à décrocher le Goncourt en 1921 avec Batouala,

 

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dont le renom quelque peu injustifié occulte encore largement le reste d’une œuvre à redécouvrir. Un homme pareil aux autres, paru en 1947, fut sans doute le roman où il mit le plus de lui-même.

Comment, en effet, ne pas reconnaître René Maran derrière ce Jean Veneuse, né comme lui à La Martinique mais élevé à Bordeaux dans un milieu exclusivement blanc, où il acquiert la solide culture classique qui fait de lui un compagnon recherché dans certains cercles où l’on affecte d’oublier sa couleur de peau. C’est là que Veneuse rencontre Andrée, qu’il aimera autant qu’il la fuira, persuadé de faire son malheur en l’aimant. Car la société, selon lui, n’est pas prête à la mixité. Quelque Français qu’il se veuille – et il se veut passionnément Français – pour les Français, il reste un Noir, ayant appris dans sa chair que « ni l’éducation ni l’instruction ne prévalent contre les préjugés de race », qu’il est toujours un moment où les masques tombent, particulièrement aux Colonies, pour lesquelles on le voit s’embarquer comme administrateur au début du roman. On ne le verra guère administrer grand-chose. S’il est bien conscient que la colonisation « est une déesse âpre et cruelle, qui ne se paie pas de mots et se nourrit de sang », il ne la remet jamais vraiment en cause, trop obnubilé par son dilemme personnel pour vraiment s’intéresser au sort de populations avec lesquelles il ne se sent à juste titre rien en commun sinon des traits qu’il n’a par définition pas choisis.

Si l’on a pu faire de René Maran un précurseur de la Négritude, un Franz Fanon, en revanche, ne fut pas tendre avec lui. Comme le souligne Mohamed Mbougar Sarr dans une préface éclairante, Fanon voyait en Veneuse (et, à travers lui, en René Maran) un modèle à combattre, celui « l’aliéné pathologique, atteint jusque dans son âme » ou, pour le dire de façon plus contemporaine, le prototype du « bounty » (noir à l’extérieur, blanc à l’intérieur).

On se gardera bien de trancher dans une affaire qui, après tout, ne regarde que Veneuse (ou Maran) et personne d’autre. Mais si l’on peut tenter de comprendre Veneuse (une autre, qui prétend l’aimer, ne le traite-t-elle pas de « sale nègre » à la première occasion ?) on ne peut qu’être agacé par certains aspects du personnage qui, tout en protestant de sa fidélité, n’hésite pas, entre autres, à s’offrir les services « hygiéniques » d’une passagère qui s’offre à lui ou d’une petite concubine jetable de 15 ou 16 ans, comme tout bon colonial qui se respecte. De quel œil verrait-il une telle liberté chez son Andrée ?

Veneuse n’a pas à s’en faire : il est bel et bien « un homme pareil aux autres », aussi lâche et geignard que n’importe quel autre, quand c’est encore Andrée qui doit lui faire violence pour qu’il consente enfin à sortir de son sempiternel « j’voudrais ben mais j’peux point », digne des horripilants amants de Belle du Seigneur.

Deux claques et puis au lit, serait-on tenté de conclure s’il ne fallait encore préciser que le style est à l’image exacte du roman, qui ne cesse, littéralement, de montrer « patte blanche ». Maran, cela se sent, tenait à faire ses preuves. Et il les fait, sans aucun doute : le bonhomme écrivait bien, très bien, même, mais sans fantaisie ni surprises, à la façon, pourrait-on dire, d’un Normalien sachant par cœur les tours et les détours de la rhétorique, jouant en élève appliqué du mot rare et de la métaphore filée dans les règles. Il en résulte un côté guindé, boutonné jusqu’au cou, un peu raide. Comme la justice que, pour toutes ces bonnes raisons, on n’a soudain plus très envie de lui rendre.

Yann Fastier