Acteur à ses heures, auteur quand il y pensait, Fernand Trignol (1896-1957) fut surtout une figure discrète mais indispensable du cinéma français de l’entre-deux-guerres :
conseiller « argot » d’innombrables films, de Pépé le Moko à La Bandera, de Fric-Frac à Paris-béguin, il fut en outre un fournisseur émérite de figurants en tout genre dont il garantissait le réalisme, n’hésitant pas à recruter pour les besoins de la cause la clientèle au grand complet d’un vrai bal musette ou bien à requérir sur la zone une tribu entière de romanichels. Il faut avouer qu’il avait du répondant : vrai fils de Paname, il se fait très tôt mettre à la porte par sa mère et c’est auprès des barbeaux, des apaches et des petits voleurs du quartier qu’il fait son apprentissage. Traficotant dans les courses, de chevaux et de vélo, il nage avec aisance dans toutes les eaux de ce « Paris canaille » qu’il finit par connaître comme sa poche (et un peu celle des autres), où se côtoient harengs et plumitifs à la Carco, artistes et truands de tous étages. Truand, il le fut lui-même un chouïa mais, plus malin que d’autres, sut faire sa pelote en se mêlant aux « caves » sans fierté déplacée, ce qui nous vaut aujourd’hui la réédition de ses souvenirs, amputés des dessins de Dubout mais pas de la préface amicale de Gabin. S’il n’a certes pas le talent d’un Robert Giraud, auquel on ne peut pas ne pas penser, il n’enfile pas moins les anecdotes avec la verve argotière et goguenarde du titi qu’il ne cessa jamais d’être, les mâtinant de considérations presque sociologiques que lui permettait un certain recul par rapport aux différents milieux qu’il fréquentait. À cet égard, peut-être le préférera-t-on quand il se fait le cicérone d’un Paris interlope dont le sentimentalisme littéraire ne se lasse pas plutôt que lorsqu’il évoque le cinéma, où l’exercice s’essouffle un peu et tourne au catalogue de célébrités.
Yann Fastier