En finira-t-on jamais de redécouvrir le roman graphique ?

 

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Après Frans Masereel, Lynn Ward, Otto Nückel... sans même parler de Caran d’Ache et de son précurseur  Maestro, voici que nous arrive enfin Deux manches et la belle, de Milt Gross et par l’éditeur de Mauriac, encore ! Quelle que soit la part d’opportunisme du côté d’un éditeur qu’on ne savait pas si féru de petits mickeys, la chose est plutôt la bienvenue qui remet au jour un album d’une fraîcheur intacte depuis ses vertes années 30. L’argument, plutôt mince, est celui d’innombrables mélos : un brave et beau trappeur, abusé par un escroc, perd une fiancée qu’il aura bien du mal à retrouver, surmontant maints obstacles avant que justice soit enfin rendue. Ce n’est en réalité qu’un prétexte à une avalanche de gags qui, pour leur part, n’ont pas pris une ride. Car Milt Gross était orfèvre en la matière : né dans le Bronx en 1895, il se fait rapidement connaître pour des strips de bande dessinée qui font la part belle au yinglish, ce mélange de yiddish et d’anglais que parlaient les émigrés de fraîche date puis, à l’invitation de Charlie Chaplin, devient gagman sur plusieurs de ses films (Le cirque, en particulier). C’est donc en expert qu’en 1930 – au moment même où le cinéma devient parlant – il s’empare des codes visuels du muet pour mieux les mettre en pièces au fil d’une histoire sans paroles dont les rebondissements incessants et loufoques annoncent avec vingt ans d’avance les délirantes parodies d’Harvey Kurtzman et de sa bande dans Mad. Plutôt que de « roman graphique », lié à une forme de rhétorique visuelle venue de l’affiche et des beaux-arts et dont les préoccupations sociales sont loin de Milt Gross, on devrait donc parler ici de « cinéma dessiné », comme une sorte de chaînon manquant entre la bande dessinée et le cinéma d’animation, dont on ne dira jamais assez les affinités originelles, de Winsor McCay à Pat Sullivan et à Walt Disney, et dont Milt Gross lui-même fit à la fin de sa vie sa principale activité, comme une suite logique à ses livres d’images.

Yann Fastier