D’Orbitor à Solénoïde, les univers mis en place par Mircea Cărtărescu relèvent le plus souvent d’une fantasmagorie fortement teintée de rêve éveillé,
où le réel, lâché par la physique, n’est qu’une pâte malléable à l’envi, selon les états d’âme de personnages à l’intériorité tourmentée. En trois nouvelles encadrées de deux apologues, Melancolia ne fait pas exception, tout en s’attachant plus particulièrement aux métamorphoses rarement joyeuses de l’enfance. Dans tous les cas, les enfants sont seuls. Sa mère partie faire une course, l’un d’eux se croit abandonné et vit d’une vie ralentie dans l’appartement vide avant de littéralement s’échapper sur la passerelle du rêve. Marcel et Isabel, frère et sœur fusionnels, affrontent leurs terreurs seuls dans leur chambre et jusqu’au sacrifice ultime. Quant à Ivan, quinze ans et mal dans sa peau (il en change d’ailleurs régulièrement, comme tous les garçons, et garde ses mues sur un cintre dans l’armoire), ce sont les mystères féminins qu’il affronte au fil d’un récit dans lequel on soupçonne un autoportrait de l’auteur en jeune poète qu’il fut – qu’il est toujours, en témoignent de bien belles trouvailles, comme cette jeune fille se glissant, nue, à l’intérieur de l’une des peaux du garçon, et d’autres d’aussi bon acabit. Presque trop : érigé en système, le fantasme perd de sa puissance et le trouble que l’on ressent parfois (lorsque le texte, notamment, passant brusquement au « tu », paraît se tourner vers le lecteur) se trouve contrecarré et comme lissé par une perfection un peu froide et non exempte d’esbroufe. À ce titre, plus qu’à Léon Spilliaert, dont un tableau orne la couverture, on penserait plutôt au Pop Surrealism d’un Mark Ryden ou d’une Marion Peck, dont les enfants tristes sont, eux aussi, marqués du « lourd sceau de la mélancolie ». On y consent ou non, selon l’humeur, libre, certes, de se laisser embarquer dans ce voyage un peu trop bien organisé ou d’admirer de loin le métier de l’auteur.
Yann Fastier