Erostrate est le nom de l’homme qui incendia le temple d’Artémis à Ephèse, considéré comme l’une des sept merveilles du monde, en 356 avant J. C.

 

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Il expliqua son geste par le fait que cet acte était la seule façon pour lui d’acquérir la notoriété. Il fut supplicié et on interdit à quiconque de prononcer son nom.

Avec un titre pareil, on se doute que ce n’est pas la grandeur d’âme, la bravoure ou l’altruisme qu’Aïssa Lacheb cherche à incarner à travers ses personnages d’Erostrate for ever. Dans ce recueil de textes, qui n’ont de points communs que la représentation de figures en route vers leur chute, l’auteur évoque des tranches de vie d’êtres en marge, dont on voudrait nier l’existence parce que leur présence fait tache dans le paysage ou parce que les choix qu’ils font les conduisent à leur perte. Fils qui fuient la violence alcoolique de pères, couple d’amoureux qui finissent camés dans une sordide chambre de bonne, jeune femme qui sombre dans la violence, la prostitution et la folie, comptable qui prend le train de l’Enfer, tous sont frappés au sceau d’un déterminisme social dont il est difficile de s’extirper.

Et pourtant, ce n’est pas de la pitié, ni de la révolte, que l’on ressent à la lecture de ces histoires naturalistes où tout semble perdu. Il y a beaucoup plus dans ces pages qu’une volonté de faire pleurer sur le sort de condamnés. Il y a de la beauté et de l’empathie. Envers leurs luttes pour s’en sortir, même si elles finissent avortées. Envers les rêves qu’ils nourrissent, même s’ils se mentent à eux-mêmes. Envers leur volonté peut-être, tel Erostrate, d’emprunter le chemin de la condamnation des leurs pour montrer qu’ils existent, tant pis s’il leur faut pour cela être punis ou mourir pour atteindre à une certaine forme de reconnaissance. Le pire ne serait-il pas la négation totale de leur passage sur terre ?

Alors, au final, n’est-ce pas la réhabilitation du personnage antique que prônent ces récits ? Ou La salutation de choix incompréhensibles au plus grand nombre parce que guidés par le désespoir. Le refus de rester cantonné à une place assignée, non choisie quand on se rêve un destin. La survivance de telles figures et de leurs voix, qu’elles que soient les époques, et malgré la volonté de les faire taire. Il y a tout ça dans Erostrate for ever, porté dans une langue poétique à force d’être proche du réel, notamment dans ce texte raconté au présent, martelé par un « tu » qui accentue l’inexorabilité de la déchéance de ce fils emporté par l’alcool, alors qu’il sait qu’il reproduira le destin de son père, malgré lui, mais délibérément aussi.

Marianne Peyronnet