De retour en Tunisie après avoir vécu toute sa vie en France,
Selma (Golshifteh Farahani) ouvre un cabinet de psychanalyse dans un quartier populaire de la capitale, sous les ricanements plus ou moins apitoyés de son entourage : ce truc de Français n’a pas sa place ici, les Arabes ont l’âme et le cœur cadenassés et, de toute façon, ils ont toujours Dieu s’ils ont besoin de s’épancher… Ce qui, bien entendu, n’empêche pas les curieux de défiler dès le premier jour, sous les prétextes les plus divers et, parfois, les plus saugrenus. Car l’Arabe a ses névroses et, quoi qu’il en ait, d’autant plus besoin de s’exprimer qu’il est tenu en laisse par les usages d’une société corsetée : entre le boulanger qui, toutes les nuits, rêve qu’il embrasse goulûment des dictateurs, la coiffeuse qui, littéralement, vomit sa propre mère, l’imam dépressif et le paranoïaque poursuivi par le Mossad, Selma redécouvre une société empêtrée dans ses contradictions, à la fois chaleureuse et corrompue, où la peur et le déni sont toujours là malgré l’insouciance de façade et la toute récente révolution. Mais c’est aussi l’occasion pour elle d’affronter ses propres failles, par le truchement d’un flic viril, omniprésent et bizarrement intègre dans un pays où l’on a plutôt coutume de s’arranger à la bonne franquette. Impossible avec pareil surmoi : aussi ne lui faudra-t-il rien moins qu’une rencontre impromptue avec l’oncle Sigmund en personne pour savoir enfin ce qu’elle veut au plus profond d’elle-même, au-delà d’une solidité qu’elle rêvait à toute épreuve.
Drôle et débridé de bout en bout comme une bonne vieille comédie à l’italienne, ce premier long-métrage de la franco-tunisienne Manele Labidi est avant tout une heureuse surprise. Sachant mêler sans artifice satire légère et comique de situation à un propos beaucoup plus grave, c’est mine de rien tout un pays qu’il parvient à allonger sur le divan pour une cure miracle de 85 mn seulement et pour bien moins cher qu’une vraie psychanalyse !
Yann Fastier