« Maladroit de naissance » : c’est ainsi que, sous le nom de Makoto, se définit lui-même le mangaka Yarō Abe,

 

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bien connu des amateurs pour sa célèbre Cantine de minuit, dont nous avons déjà eu l’occasion de vanter la cuisine. « Mauviard », trouillard, geignard et mollasson, ainsi ne craint-il pas de se montrer à ses lecteurs, sans indulgence excessive pour le petit garçon qu’il fut en cette seconde moitié de l’ère Showa (1926-1989). Un petit garçon comme beaucoup d’autres, donc, issu d’une famille ordinaire de la classe moyenne que cette autobiographie nous présente avec le style tout en rondeur – presque sommaire – et la sensible discrétion qui ont fait le succès de l’auteur, à mille lieues des poncifs qu’on accole d’habitude au manga. En filigrane, on y lira surtout un hommage au père, personnage excentrique aux joies simples dont la principale occupation, quand il revient de ses chantiers, consiste à péter tranquille, en slip sur le tatami. Il mourra tôt, d’une imprévisible rupture d’anévrisme et ce sera, pour le jeune Makoto, comme la fin de l’insouciance, que son père avait fini par incarner. Pour le Japon, c’est également la fin du boum économique : le second choc pétrolier le fait entrer dans une crise durable et suscite une certaine âpreté dans les rapports sociaux, une dureté qui, a posteriori, fait de cette fin des années 60 un âge d’innocence où rien de grave ne pouvait arriver, du moins tant que le père serait là, vivante incarnation de la joie de vivre. Et si cette vie sans grandes joies ni grands drames n’est pas de celles qu’on donne d’ordinaire en exemple, on la reconnaîtra néanmoins pour nôtre tant il est vrai que, par-delà cultures millénaires et grands équilibres stratégiques, il n’est bel et bien qu’une seule et même humanité d’un bout à l’autre de la Terre, une humanité dont le propre et l’unique espéranto reste décidément de ne rien aimer mieux que péter à son aise.

Yann Fastier