Un jeune couple emménage dans un nouvel appartement.

 

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Aimable et envahissant, Kolya, leur voisin de palier, fait l’objet de la bienveillante attention de l’immeuble entier. Est-ce un fou ? Un simple d’esprit ? Un ivrogne sympathique dont il faut surveiller les crises ? Lorsqu’il finit par disparaître, à l’issue d’un épisode plus grave que les autres, la réalité se fait jour, enfin, bien différente de ce qu’on aurait pu croire.

L’histoire de la Russie et de la bande dessinée est celle d’un rendez-vous manqué. Tout, dans l’histoire du pays, le prédisposait à devenir l’un des grands viviers de l’histoire en images, au même titre que le Japon, les USA ou l’espace franco-belge. Une riche tradition d’imagerie populaire dès le XVIIe siècle (le loubok, proche de nos images d’Epinal), une vitalité des arts plastiques qui lui valurent une place enviable dans l’histoire des avant-gardes, dont Malevitch ou Kandinsky restent d’incontournables piliers et, avec la Révolution d’Octobre, une authentique volonté d’éducation populaire qui aurait pu faire de la bande dessinée l’un de ses fers de lance. L’Histoire en a voulu autrement. Celle de la BD, en ce début du XXe siècle, s’écrivait alors dans la grande presse capitaliste. Les Bolcheviks n’y virent-ils que l’expression abrutissante d’une littérature dégénérée ? Toujours est-il qu’il n’y eut pas de bande dessinée soviétique digne de ce nom, comme il y en eut une chinoise, par exemple. Il faudra attendre la fin de l’URSS pour que de jeunes auteurs, accédant enfin aux productions occidentales, s’emparent du médium et produisent leurs propres histoires, dans un esprit d’imitation le plus souvent assez pauvre et sans originalité, il faut bien l’avouer. D’apparition récente, le secteur éditorial reste d’ailleurs marginal, économiquement fragile et pour le moins mal considéré – un ministre de la Culture réservant même très officiellement la lecture des comics aux jeunes enfants et aux illettrés.

Peut-être aurait-il changé d’avis s’il avait daigné se pencher sur ce premier album de la jeune Lida Larina, née en 1992 et diplômée de tout un tas d’institutions prestigieuses en matière d’arts graphiques. Car Kolya, sans rien renouveler de fondamental, n’en est pas moins une histoire attachante dans sa bienveillante humanité, très russe dans ce qu’elle dit d’une certaine façon de vivre ensemble que nous avons peut-être oubliée. D’une maturité visuelle et narrative à faire pâlir d’envie pas mal de tâcherons du petit miquet, tout en frontalité, lumineux et jouant sans se cacher des potentialités de la palette graphique, son dessin, résolument contemporain, ne doit rien cette fois-ci aux codes recuits des « comics » à l’américaine. Au point de pouvoir servir de faire-part de naissance à une BD russe encore balbutiante – comme son héros, en somme, et, comme lui, promise à un bel avenir. C’est du moins tout ce qu’on lui souhaite.

Yann Fastier