Daniel de Roulet a le jarret vigoureux, le pied léger et les épaules solides.

 

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Le jarret vigoureux pour avoir entrepris de traverser la Suisse à pied, d’ouest en est et du nord au sud – manière, dit-il avec malice, de « faire une croix sur son pays ». Le pied léger parce qu’il le fait d’un pas vif et sans s’attarder. Chaque étape est avalée au pas de charge, avec des hauts et des bas, bien entendu (le pays a ses dénivelés), mais avec une ironie tout aérienne et, surtout, sans se répandre outre mesure en considérations personnelles et plus ou moins complaisantes, comme en ont parfois (souvent) nombre d’écrivains « voyageurs ». Les épaules solides, enfin, car c’est toute une bibliothèque qu’il emporte sur son dos, ayant choisi de systématiquement confronter les paysages qu’il traverse à la vision qu’en eurent, en d’autres temps, d’autres écrivains dont le souvenir, parfois, imprègne encore les lieux. Ce sera donc, entre bien d’autres, Hugo, trouvant à Berne des allures de ville chinoise, Rimbaud, en fuite vers l’ailleurs, passant par le  Gothard en pleine tempête de neige, mais aussi Lénine qui, de Flühli, écrivait à la femme qu’il a sans doute le plus aimé ou bien Nicolas de Flüe, saint patron de la Suisse, qui, même analphabète, n’en écrivait pas moins des lettres miraculeuses… On regrette un peu l’absence de Calet, dont le Rêver à la Suisse le fâcha durablement avec l’Helvète, mais on se réjouit d’y retrouver Élisée Reclus, l’un des préférés de l’auteur de Dix petites anarchistes (Buchet-Chastel, 2018), pour son concept de « mondialité », opposable à toute mondialisation et qui véritablement révèle, au sens presque photographique du terme, l’objet de cette très plaisante traversée : soit un bel exercice de « dépaysement » tel qu’a pu le faire un Jean-Christophe Bailly pour la France (Bailly, qui signe d’ailleurs la préface), une façon active de s’interroger physiquement sur ce que pourrait être un « patriotisme géographique », sur ce que c’est qu’appartenir à un pays.

Yann Fastier